En rentrant dans l’exposition, une peinture montée sur roulettes interpelle. Peinte sur son recto, un miroir au verso.
Elle cristallise les enjeux d’une démarche qui reflète l’histoire du monde et se nourrit librement de l’histoire de l’art. On y trouve : figures et abstraction, croix et icônes, stigmates de guerre et souvenirs d’enfance heureuse, culture populaire et grand art, ici Matisse et Malevitch, là Mickey. Deux polarités unies dans une même matière en mouvement, faite de rencontres et de complexités, de temps et d’émotions mêlés. Deux faces d’une même histoire marquée par le sacré et le tragique. De la guerre à Goya, de Malevitch à Dostoïevski. Grande et intime, pour cet enfant d’origine ukrainienne, l’histoire s’incarne dans un corps marqué par le doute et la perte, mais aussi par le jeu, l’enthousiasme et la vitalité. Allant de la peinture et du dessin à la sculpture, Fedorenko joue avec l’histoire des formes, « grand voleur » pour qui les tableaux des autres sont instruments, outils à création, matières à penser. Si cet ancien élève de Vincent Bioulès a regardé l’abstraction, il n’a eu de cesse de se nourrir d’autres courants, des nabis au surréalisme. Attiré par la tactilité de la matière, ni formaliste ni pur abstrait, ni partisan du « retour à la figuration » dans les années 1980, l’artiste traverse l’histoire sans se soucier d’appartenir à une chapelle, toujours « à côté du vélo », dit-il avec humour. Discret, travaillant au large de l’atelier, au souffle du Finistère, loin de la mode, loin de l’agitation parisienne, Fedorenko n’a jamais baissé la garde et ne s’est jamais soucié de répondre à des étiquettes ou à des réseautages. Une liberté qui lui a peut-être valu de ne pas avoir été assez valorisé et exposé. Manque que pallie le domaine de Kerguéhennec à travers cette exposition qui montre, dans un second volet, la diversité de son travail graphique, dessins, estampes et livres.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°712 du 1 mai 2018, avec le titre suivant : Nicolas Fedorenko, loin des chapelles