MONTRÉAL / CANADA
Conservatrice française, Nathalie Bondil connaît bien l’Amérique du Nord où elle dirige le Musée des beaux-arts de Montréal qui présente actuellement l’exposition « Il était une fois l’impressionnisme. Chefs-d’œuvre de la peinture française du Clark ».
Bénédicte Ramade : Où en est l’impressionnisme aujourd’hui ?
Nathalie Bondil : La France et les États-Unis sont difficilement comparables, car Paris centralise l’essentiel des collections et des moyens. Il est complexe, par exemple, d’organiser une exposition sur l’impressionnisme sans le Musée d’Orsay ou sans son soutien – excepté, peut-être, pour le Musée Marmottan-Monet. Aux États-Unis, où l’impressionnisme a été collectionné très tôt, on trouve en revanche nombre d’œuvres dispersées sur l’ensemble du territoire, ce qui a permis une historiographie précoce du mouvement grâce à des géants comme John Rewald.
Il existe une véritable passion anglaise et américaine pour ce courant. Aux États-Unis, outre les donations considérables des Potter à Chicago, des Havemeyer à New York ou des Mellon à Washington, ou encore les collections Clark à Williamstown, Phillips à Washington ou Barnes à Philadelphie, il y a quantité de peintures impressionnistes : Boston possède ainsi une collection sensationnelle.
B.R. : Peut-on encore innover avec une exposition sur l’impressionnisme ou est-on condamné à réaliser des événements spectaculaires ?
N.B. : L’un n’empêche pas l’autre. Il faut éviter de tomber dans le cliché qu’« une exposition ennuyeuse est une exposition sérieuse » et qu’une « exposition spectaculaire est une exposition légère ». Y a-t-il matière à renouveler l’approche de l’impressionnisme ? Je pense que oui. Je suis toujours étonnée de voir combien le sujet continue à irriguer une riche historiographie, notamment chez les Anglo-Saxons. Leur approche privilégie davantage la pluridisciplinarité. Les connexions interprofessionnelles sont très fortes entre le réseau des universités et celui des musées. Il faut comprendre aussi qu’en Amérique du Nord, le rôle du commissaire est différent de celui qu’il a en France ; il est le spécialiste qui a accompli la recherche de fond, même si c’est au musée de concevoir ensuite le contenu didactique et scénographique.
En France, il y a un évident renouveau dans l’intérêt témoigné à l’impressionnisme. Parmi les historiens confirmés de la relève, à la suite des travaux fondateurs d’Anne Distel ou de Sylvie Patin, entre autres, je pense spontanément à Sylvie Patry, grâce à ses recherches sur Renoir, Morisot, l’impressionnisme et les femmes et, bientôt, sur le marché de l’art avec Durand-Ruel, et aussi à Stéphane Guégan, grâce à ses écrits sur Manet, la modernité, les liens avec la littérature… Sur la scène anglaise et nord-américaine, toutes les générations demeurent actives : Richard Brettell, John House – récemment disparu – et Richard Thomson sont des éminences dans ce domaine ; nombreux sont les Colin Bailey, Hollis Clayson, Ann Dumas, Griselda Pollock, Richard Kendall, Philip Nord, Christopher Riopelle… qui ont fait évoluer les problématiques sur l’impressionnisme dans son rapport à la politique, à l’écologie, à l’économie… Leurs perspectives favorisent souvent la contextualisation et la transversalité. Les gender studies y sont cruciales alors qu’elles demeurent inexistantes en France : peu d’auteurs, à part Linda Nochlin, sont traduits. En la matière, ce que je trouve le plus intéressant est souvent publié en sociologie par Alain Corbin, Georges Vigarello, Anne Martin-Fugier ou Gilles Lipovetsky. Mais cela reste souvent l’affaire des universitaires d’un côté et des conservateurs de l’autre : le milieu français est plus sectorisé.
B.R. : La recherche est donc plus active dans le monde anglo-saxon qu’en France…
N.B. : Beaucoup d’ouvrages mériteraient d’être effectivement traduits. Les expositions en France font d’ailleurs la part belle aux historiens anglo-saxons. Réinventer l’impressionnisme grâce à ces relectures est stimulant, mais il ne faudrait évidemment pas épuiser le sujet avec des interprétations qui ne s’appuieraient pas sur une solide recherche. Néanmoins, l’impressionnisme connaît actuellement des sommets de popularité publique inégalés !
On peut aimer ou pas une scénographie, ce n’est pas la question : j’apprécie personnellement les scénographies ambitieuses, et je trouve toujours plus audacieux d’innover au risque d’échouer plutôt que de ne faire aucun effort : la scène parisienne est d’ailleurs très en pointe dans ce domaine. Bien entendu, la qualité des textes qui accompagnent les œuvres demeure indispensable : il y a un parcours intellectuel à respecter. Les Américains sont très à cheval sur l’articulation conceptuelle. L’interprétation d’un sujet est portée par le parti pris tant scénographique que didactique : aucun décor ne peut se substituer à la qualité d’un contenu.
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Pierre Wat - Professeur d’histoire de l’art à l’université Paris 1, spécialiste de l’art du XIXe siècle
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°653 du 1 janvier 2013, avec le titre suivant : Nathalie Bondil - « Oui, il y a matière à renouveler l’approche de l’impressionnisme »