Nara ou l’Âge d’or du Japon

Des \"trésors nationaux\" au Grand Palais

Le Journal des Arts

Le 1 septembre 1996 - 717 mots

Ce sont bien des trésors, et même pour certains d’entre eux, des \"trésors nationaux\" – selon la terminologie japonaise –, qui seront exposés au Grand Palais à partir du 20 septembre. En tout, une cinquantaine d’œuvres et d’ensembles de sculptures, peintures et objets sacrés exceptionnels, provenant du temple du Kofukuji à Nara, où s’est épanoui l’Âge d’or de la sculpture japonaise, de la fin du VIIe siècle au début du XIIIe siècle.

PARIS - Réputé difficile – rebutant, diront certains –, l’art bouddhique ne draine pas les foules. Pour preuve, la modeste fréquentation de "Sérinde, terre de Bouddha" en 1995-1996 (99 447 entrées payantes). Ce relatif désintérêt est tel que certains, au Japon, se sont même demandés s’il n’était pas déraisonnable de prêter 90 pièces du Kofukuji à la fois, dont pas moins de 22 "trésors nationaux" et 9 "biens culturels importants". "C’est comme si nous prêtions 22 Joconde d’un coup !", confie Irène Bizot, administrateur de la Réunion des musées nationaux, co-organisatrice de l’exposition avec notamment la Fon­dation du Japon.

Ces pièces, dont certaines ne sont montrées que quelques jours par an au public, ces divinités cachées que seuls les moines peuvent habituellement contempler, ces sculptures en bois et en laque sèche, parmi les plus anciennes au monde, risquent en effet de ne faire l’objet que d’une curiosité polie à Paris…

Faisant allusion au record d’affluence établi par l’Art Institute en 1986, lors d’une présentation des trésors d’un autre temple de Nara, le Todaiji, le conservateur du Musée Guimet, Jean-François Jarrige, conjure le mauvais sort : "Nous ne sommes pas plus cloches que les habitants de Chicago !" Commissaire de l’exposition avec Hélène Bayou, elle-même conservateur à Guimet, il rappelle également le succès remporté en 1977, au Grand Palais déjà, par l’exposition de 16 pièces provenant d’un troisième temple de Nara, le Toshodaiji, et, fort de ces arguments, fustige d’avance les critiques : "L’art bouddhique, un art difficile ? Alors que 80 % de la symbolique de Vinci ou Mantegna nous échappe totalement ? Il n’est pas nécessaire de connaître le bouddhisme pour ressentir une émotion profonde devant ces œuvres".

Parfois, une vague connaissance de la mythologie grecque suffit : ainsi cette statue de Kendatsuba (laque sec, vers 734), affublée de la dépouille du lion de Némée. De même, la manière caricaturale de six des Douze généraux des Yaksa (bois gravés, XIe siècle) ne manquera pas de séduire les visiteurs. Mais c’est surtout le réalisme, "poussé jusqu’aux portes de l’expressionnisme", des œuvres de sculpteurs aussi célèbres au Japon que Kokei, et plus encore son fils Unkei, qui devrait achever de conquérir le public parisien. Les moines Seshin et Muchaku (1212), par Unkei, figurent parmi les statues les plus brillantes de l’art japonais. Et ces fleurons de l’époque de Kamakura ne sont pas les seuls. Deux des Six patriarches de l’école Hosso, Genpin et Genbô (1189), par Kokei, seront présentés devant la reconstitution d’un panthéon bouddhique où trônera une statue de Shaka-nyorai (XIIe siècle) entourée de quatre rois Deva (XIIe-XIIIe siècle). La sérénité qui émane des deux grands lettrés confrontés à ces "quatre rois célestes incarnant la force contenue et la colère intériorisée ou, au contraire, l’énergie libérée et la colère exprimée", comme le souligne Hélène Bayou, promet d’être un des temps forts de l’exposition.

Conditions d’exposition draconiennes
D’autant que cette évocation du temple bouddhique, ainsi qu’une monumentale tête de bouddha en bronze (vers 685), sera exceptionnellement présentée sans protection. "En raison de conditions d’exposition draconiennes, toutes les autres pièces seront exposées dans des vitrines étanches, dont l’hygrométrie sera maintenue à 60 %", explique le scénographe Jean-François Bodin, qui a conçu un décor en bois clair, aux vitrines inspirées de l’architecture traditionnelle japonaise. Une première salle présentera les statues et bas-reliefs, tandis que peintures, calligraphies et planchettes votives seront exposées dans une seconde salle. Les objets rituels et sacrés, ainsi que quelques tuiles en argile seront répartis dans les deux espaces. En tout, 90 raisons d’aller au Grand Palais.

NARA, TRÉSORS BOUDDHIQUES DU JAPON ANCIEN : LE TEMPLE DU KOFUKUJI, 20 sept.-9 déc., Grand Palais, Paris, tlj sauf mar. 10h-20h, mer. 10h-21h, rés. dans les Fnac, par tél. au 49 87 54 54, par minitel au 36 15 Billetel ou 36 15 Fnac. Catalogue, éditions RMN, 224 p., 110 ill. couleur, 50 ill. n & b, 250 F.

Nara fut résidence de la cour impériale de 710 à 794, date de son transfert à Heian-Kyo, l’actuelle Kyoto. Grâce au soutien des empereurs successifs, la religion bouddhique y connut son plus haut degré d’épanouissement artistique et intellectuel. L’époque de Nara se caractérise par l’influence de la Chine des Tang sur la société et l’art japonais.
Le temple du Kofukuji, fondé en 669, est l’un des sept grands temples de Nara et de ses environs, dont les plus célèbres sont le Todaiji, le Toshodaiji et le Horyuji. En grande partie détruit dans un incendie en 1180, comme le Todaiji, il a été restauré dès 1194. Ce type de restauration est en partie à l’origine du renouveau de la sculpture à l’époque de Kamakura (1185-1333).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°28 du 1 septembre 1996, avec le titre suivant : Nara ou l’Âge d’or du Japon

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