NAPLES
Le palais Zevallos Stigliano a retrouvé temporairement, à l’initiative de l’un des musées de la banque Intesa Sanpaolo, une grande partie de la collection princière que l’édifice hébergeait au Seicento.
Naples. Que l’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, le secteur privé a incontestablement pris une place de premier ordre dans le paysage artistique italien. De plus en plus de fondations et d’établissements privés participent en effet activement à la vie culturelle de la Péninsule, notamment à travers des expositions, palliant ainsi au désinvestissement croissant de l’État dans ce domaine.
Acteur majeur de cette dynamique, la banque Intesa Sanpaolo témoigne depuis vingt ans d’une démarche exemplaire. En 1999, la banque ouvrait son premier espace muséal à Vicence, alliant présentation de ses collections et organisation d’expositions temporaires. Depuis deux autres sites, conçus sur le même modèle, ont vu le jour à Milan et à Naples au cœur d’anciennes succursales de la banque. Chacune des antennes de ce pôle, baptisé « Galeries d’Italie », occupe un segment particulier lié à son implantation géographique, à l’histoire du monument qui l’héberge où encore à la nature de la collection qui y est accrochée.
Contrairement à une critique souvent adressée au secteur privé, les expositions présentées en ses murs ne sont pas de simples « blockbusters » destinés à remplir les caisses. Bien au contraire, le pôle muséal se distingue par l’ambition scientifique de nombre de ses manifestations qui sont le résultat d’un remarquable travail de recherche et de mise en valeur d’aspects méconnus de l’histoire de l’art, impliquant souvent des spécialistes et des universitaires. L’antenne napolitaine conserve des collections centrées sur la peinture du sud de l’Italie datées du Seicento au début du XXe siècle, lesquelles comprennent le tout dernier tableau du Caravage, Le Martyre de sainte Ursule. Elle organise ainsi essentiellement des expositions consacrées à des artistes méridionaux importants mais rarement portés aux nues ailleurs – ainsi de l’intéressant vedutiste Salvatore Fergola dont le musée a récemment orchestré la première monographie. Cet hiver, le musée s’est lancé un nouveau défi qui fait particulièrement sens : reconstituer une formidable collection du XVIIe siècle, dispersée à travers le monde, sur ses cimaises d’origine.
Bien avant d’accueillir une succursale de banque puis un musée, le palais Zevallos Stigliano a en effet été au Seicento la demeure d’une illustre famille de collectionneurs : les Van den Eynden. Une dynastie de marchands originaires d’Anvers au goût très affûté avec une prédilection pour les peintres contemporains flamands et italiens. Jugez plutôt : Preti, Le Guerchin, Fyt, Carrache, Van Dyck, Ribera et bien sûr Rubens tapissaient jadis les murs de ce monument – pour ne citer que les artistes dont les peintures sont rassemblées à l’occasion de cette réunion de famille. Le musée a mené un passionnant jeu de piste pour retrouver ces œuvres disséminées dans les plus grands musées et chez des particuliers. L’établissement est ainsi parvenu à réunir pour la première fois depuis le démembrement de la collection un échantillon représentatif de cette dernière à l’endroit même où elle était accrochée, il y a plus de trois siècles. Une gageure. La banque a en effet obtenu le retour à la maison de trente-six de ses fleurons au prix d’un long travail de persuasion, précédé d’une enquête au long cours. « Avant de commencer nos recherches, le seul document de référence dont nous disposions sur la collection était son inventaire réalisé par Luca Giordano, explique Antonio Ernesto Denunzio, le commissaire de la manifestation. Or si certaines descriptions sont limpides et nous ont permis de remonter assez facilement jusqu’aux tableaux, d’autres indications sont en revanche beaucoup moins précises. Par exemple, Giordano ne mentionne pas systématiquement de titre mais parfois uniquement des dimensions ou le genre auquel se rattache le tableau. Et malgré notre travail nous n’avons pas toujours pu identifier avec certitude de quelle œuvre il s’agissait. »
Autre déconvenue inévitable dans pareille entreprise, les organisateurs n’ont pu accrocher toutes les peintures souhaitées et ont dû faire preuve d’inventivité et de souplesse pour évoquer les pièces majeures. Ainsi, la Sainte Famille de Poussin conservée au Metropolitan Museum of Art, à New York, qui ne peut prêtée en vertu des dispositions légales prises par son donateur, a été remplacée par une copie d’époque. Frustration encore, l’équipe scientifique n’a pas réussi à retrouver les tableaux du Caravage cités dans l’inventaire. Ce travail fondamental d’identification et de localisation a toutefois permis de faire réémerger des œuvres étonnantes comme la légère Marine avec baigneurs de Johann Heinrich Schönfeld et surtout la Piscine probatique, un faux Dürer peint par Giordano. L’exposition peut en outre s’enorgueillir de présenter plusieurs tableaux inédits, conservés dans des collections particulières, comme la Scène de port de Cornelis de Wael et La Tentation d’Adam et Eve exécutée sur verre par Vincenzo Gesualdo.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°519 du 15 mars 2019, avec le titre suivant : À Naples, la banque rend ses trésors au palais