À Rennes, l’exposition « Love Supreme », dont le titre est emprunté au standard de John Coltrane, s’intéresse aux arts visuels afro-américains. Présentant dans une scénographie de Renée Green un échantillon précieux de productions d’artistes rarement exposés en France, la manifestation souffre de la modestie de ses moyens pour embrasser un sujet aussi riche que complexe.
RENNES - Que signifie réellement être un artiste afro-américain ? Sûrement exercer une activité qui tient de la marge, comme le montre sans ambages The Mythic Being : Cruising White Women (1975). Habillée en homme, grimée d’une perruque afro, assise sur le bord du trottoir, Adrian Piper regarde passer les femmes blanches. Le travestissement en un être noir mythique, à la croisée des clichés funky des années 1970, est un double jeu pour cette artiste qui, consciente de la couleur pourtant “claire” de sa peau, dénonce les stéréotypes raciaux. Partie prenante du mouvement conceptuel américain à la fin des années 1960, Adrian Piper est l’“une des rares artistes afro-américaines à être réellement inscrite dans l’histoire de l’art”, note Elvan Zabunyan. Commissaire de l’exposition “Love Supreme”, consacrée aux arts visuels afro-américains et auteur d’une thèse sur le sujet. Cette dernière s’est attelée à rendre compte d’une partie de ses recherches dans l’espace offert par La Criée, le centre d’art contemporain de Rennes. “Il ne s’agit pas d’approcher une œuvre parce qu’elle a été réalisée par un ou une artiste dont la peau est noire, mais parce que cette œuvre affirme, par sa technique, ses références historiques et esthétiques, un rapport à la culture afro-américaine”, tient à souligner Elvan Zabunyan. Ambitieux, le projet souffre toutefois de la modestie de ses moyens et du peu d’œuvres proposées au spectateur pour couvrir deux générations d’artistes. On parlera donc d’échantillon précieux pour qualifier la douzaine de pièces présentées ici. Nombreux sont en effet les travaux inédits en France, à l’image de Ritual Chant (1976-77) et Inside/Outside (1976-1977), constructions en collants, sable et acier, inspirées par les corps déformés des nourrices noires, et que la chorégraphe Senga Nengudi a accepté de refaire pour l’occasion.
À l’exception de ces pièces, ou du Mask (1997) de David Hammons, la photographie est omniprésente. Enfilant son costume de “Mademoiselle Bourgeoise Noire...”, Lorraine O’Grady documente les performances réalisées au début des années 1980, ou retrace, à partir de portraits de ses sœurs confrontés à ceux de reines de l’Égypte antique, une généalogie aussi mythique que revendicatrice. Proche des montages de Barbara Kruger, Carrie Mae Weems joue, elle, dans un ton documentaire de la confrontation de l’image et du texte. Enfin, Lyle Ashton Harris flirte avec la peinture d’histoire dans Miss America, portrait en pied d’une femme noire au visage blanchi, enveloppée dans la bannière étoilée. Lourdement symbolique, l’image renvoie inévitablement à Miss Black America, hymne du défunt “soulman” Curtis Mayfield. Peut-être accidentelle, l’allusion est en tout cas symptomatique d’un ensemble d’œuvres qui se réfèrent ouvertement à la culture populaire, à la façon de Funk Lesson d’Adrian Piper, où cette dernière, filmée par Sam Samore, s’applique à théoriser les mouvements impulsifs du funk. Auteur de Partially Buried Continued (1997) et de Some Chance Operations (1999), deux courts-métrages projetés ici, Renée Green poursuit ce décloisonnement en signant la scénographie de l’exposition. Organisé symétriquement, l’espace accueille en son centre un petit salon pour consulter des ouvrages et des bandes sonores se rapportant à la culture afro-américaine, alors que dans Personal Props, une frise peinte au sommet des cimaises, l’artiste déroule de mémoire les grands noms d’une histoire musicale qui partirait de A Love Supreme, standard de John Coltrane et titre de l’exposition. De Kingston à Detroit en passant par Bristol, cette énumération passe par la techno à travers la TB-303 japonaise de Jeff Mills, et saute des USA à la France grâce aux liens qui unissent les rappers new-yorkais de Gangstarr à MC Solaar. Vertigineuse, la liste mêle l’idée de communauté à celle de langage universel et n’aide pas à répondre à une question aussi vaine qu’embarrassante : qu’est-ce que l’art afro-américain ?
- LOVE SUPREME, jusqu’au 26 mai, La Criée centre d’art contemporain, halles centrales, place Honoré-Commeurec, 35000 Rennes, tél. 02 99 78 18 20, tlj sauf lundi, dimanche et jours fériés, 12h-19h et 14h-19h le samedi.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°126 du 27 avril 2001, avec le titre suivant : My favorite things