Peintre d’Histoire avant tout, Gustave Moreau ne cessa pourtant jamais de travailler sur le paysage. Méconnu, cet aspect de son œuvre est révélé par le Musée de Brou.
BOURG-EN-BRESSE - Aucun genre ne paraît de prime abord plus étranger à Gustave Moreau que le paysage. Dans la grande tradition académique, l’artiste ne jurait en effet que par la peinture d’Histoire, dont il aspirait à restaurer la grandeur. Héritier d’une vision très hiérarchisée de la peinture, il ne pouvait concevoir le paysage de manière autonome, du moins à ses débuts. Avant tout subordonné au récit, celui-ci n’en joue pas moins un rôle capital dans l’œuvre du symboliste, rôle que le Musée de Brou à Bourg-en-Bresse met pour la première fois en lumière. La démonstration est probante ; la scénographie, moins. La tâche n’était pas aisée, les œuvres devant prendre place dans les salles capitulaires du monastère (XVIe siècle). Mais le résultat surprend par son caractère inesthétique. Les dessins et peintures de petites dimensions ont été enchâssés dans de fausses parois qui aplatissent les œuvres ; les cartels sont disgracieux et interfèrent dans la lecture des compositions, elles-mêmes écrasées par le fond turquoise saturé des cimaises.
Une nature toujours plus présente
Tout au long du parcours, qui réunit pour l’essentiel des dessins, tableaux et aquarelles du Musée Gustave-Moreau à Paris, la nature est omniprésente. Elle participe, au même titre que les figures, au pouvoir évocateur des scènes représentées et constitue, pour reprendre les termes du peintre, « l’occasion d’exprimer son âme ». Même croqués sur le motif, les paysages de Moreau sont à lire comme « des portraits de l’âme et non de site », explique la directrice du musée Marie-Cécile Forest dans le catalogue de l’exposition. C’est probablement ce qui fait tout le charme des études italiennes, petits chefs-d’œuvre d’atmosphère et de maîtrise de la couleur. Réinterprété et intellectualisé, le paysage joue aussi un rôle structurel dans les compositions du peintre. Dans l’huile sur bois L’Automne, la branche brisée reproduit et amplifie le geste du centaure Nessus, tandis que le tronc élancé du peuplier reprend en écho le mouvement ascendant de Déjanire. Rien de bien nouveau depuis Poussin et Le Lorrain, si ce n’est l’usage de plus en plus symbolique que Moreau fait de la nature. De simple motif emprunté aux artistes de la Renaissance (Carpaccio, Léonard ou Mantegna), le rocher devient le lieu d’un affrontement avec la destinée. L’arbre, l’expression de l’élévation spirituelle. Et le soleil couchant ou l’automne, le signe de la fin d’un cycle ou de la mort. Le paysage renforce la charge symbolique du sujet, avant de prendre le pas sur ce dernier. À partir des années 1870, l’artiste se libère en effet du strict cadre de la narration. Les figures rétrécissent et la toile est envahie par de vastes horizons crépusculaires, traités avec une grande liberté. Celle-ci culmine dans les esquisses non figuratives du peintre, variations de couleurs et de formes évoquant des paysages rocheux ou marécageux. La matière picturale, souvent sombre et empâtée, y acquiert une force plastique nouvelle, sans équivalent pour l’époque. On pense à Jean Fautrier davantage qu’aux contemporains de l’artiste. D’une facture très rapide, ces œuvres étaient exécutées au couteau et à la brosse, puis vernies, signées et encadrées par Moreau, qui les considérait comme des peintures à part entière. Elles constituent l’aspect le plus étonnant de cette exposition.
Jusqu’au 12 septembre, Musée-monastère royal de Brou, 63, bd de Brou, 01000 Bourg-en-Bresse, tél. 04 74 22 83 83, tlj 9h-18h, jeudi 9h-20h. Catalogue en coédition avec Artlys, Versailles, 192 p., 35 euros, ISBN 2-85495-2189. L’exposition sera présentée au Musée des beaux-arts de Reims du 3 janvier au 27 février 2005.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Moreau, paysagiste malgré lui
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°197 du 8 juillet 2004, avec le titre suivant : Moreau, paysagiste malgré lui