Un siècle après sa mort, que reste-t-il de l‘héritage pictural de Gustave Moreau ? Une œuvre de visionnaire mystique ? Une esthétique décorative et littéraire parsemée d‘anges, de fleurs, d‘héroïnes fatales et de tourbillons colorés ?
À l‘occasion du centenaire de sa mort, le Grand Palais organise une rétrospective, occasion, pour ceux qui n‘ont pas vu celle du Louvre en 1961, de redécouvrir une peinture trop souvent méconnue et réduite aux clichés d‘un symbolisme évanescent. Plus complexe qu‘il n‘y paraît et très diversifiée, cette œuvre rassemble des aquarelles et des peintures à l‘huile de petits formats et des toiles monumentales. Mais correspond-elle à nos préoccupations d‘aujourd‘hui ? Soucieux de plaire à la critique et au public, Moreau expose des tableaux à la composition harmonieuse, déclinant en séries ses sujets inspirés de la mythologie antique et biblique comme Salomé, Orphée, Hélène ou Léda. Il obtient la reconnaissance officielle au Salon de 1864 avec Œdipe et le Sphinx, sujet traité par Ingres quelques années plus tôt. Auprès de sa mère, il mène une existence de reclus dans la maison et l‘atelier de la rue de La Rochefoucauld, « ermite enfermé en plein Paris » dit de lui Huysmans, explorant les possibilités plastiques de la couleur et de l‘arabesque, jusqu‘aux tentatives ultimes des dernières années. Les œuvres tardives deviennent parfois des jaillissements de couleurs pures aux entrelacs graphiques qui annoncent les expérimentations des futurs Kandinsky, Pollock ou Rothko. Issu d‘un milieu bourgeois favorable à sa vocation, Moreau avait suivi les étapes d‘un jeune peintre cultivé du XIXe siècle : école des Beaux-Arts, voyage en Italie sur les traces des maîtres, expositions régulières au Salon et commandes de mécènes. Lors de l‘Exposition Universelle de 1878, il fait figure de peintre symboliste, à une époque où réalisme et impressionnisme se disputent l‘avant-garde. Ses tableaux semblent en effet relever d‘un univers ésotérique qui nécessite des clés pour le comprendre. Sur fond de ciels rougeoyants et de villes en ruines, deux personnages se font face dans un rapport de troublante séduction. Figures légendaires, femmes fatales ou héros au destin contrarié, la plupart expriment la dichotomie amant-aimé(e) ou victime-bourreau. Moreau réalise aussi des compositions chargées de personnages, de détails architecturaux et de végétations fantastiques, Les Prétendants, Le Triomphe d‘Alexandre. Admirées par André Breton, ses aquarelles ont la préciosité d‘enluminures et leurs coloris phosphorescents les font ressembler à des vitraux. Plaçant la ligne et l‘arabesque au service de son idéal, Moreau prenait des notes pour expliquer et commenter les raisons de ses choix iconographiques. À propos d‘Orphée sur la tombe d‘Eurydice, il écrit : « l‘âme pleure sur elle-même dans cet abandon de tout, dans sa solitude de mort... une lampe au fond d‘une crypte funéraire répand sa lumière attristée et douce ». À la fin de sa vie, professeur à l‘école des Beaux-Arts, il sera vénéré par ses élèves Marquet, Rouault et Matisse qui sauront, au siècle suivant, mettre à profit son enseignement.
Grand Palais, 2 octobre-4 janvier, cat. RMN, 360 p., 260 ill. dont 150 en couleur, 350 F. À lire : Geneviève Lacambre, Gustave Moreau, Maître sorcier, Découvertes Gallimard, 128 p., 150 ill., 73 F, et Gustave Moreau, coéd. RMN/Somogy, 168 p., 120 ill. en couleur, 198 F.
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Moreau est-il au goût du jour ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°500 du 1 octobre 1998, avec le titre suivant : Moreau est-il au goût du jour ?