Le Centre Pompidou-Metz retrace le parcours de cet intellectuel, ami des plus grands artistes, dont les engagements et questionnements visionnaires du sacré ont traversé le XXe siècle.
METZ - Comment embrasser dans une seule exposition l’extrême complexité d’un personnage aussi mystérieux et profond que Michel Leiris (1901-1990) ? C’est le défi auquel a tenté de répondre le Centre Pompidou-Metz en convoquant les multiples facettes de celui qui fut tour à tour poète, ethnologue, critique d’art, féru de corrida et de psychanalyse, ami des écrivains et des plus grands artistes de son temps, de Picasso à Max Jacob en passant par Bacon et Giacometti. Brassant photos d’archives, affiches, extraits de films, œuvres à caractère ethnographique et chefs-d’œuvre du XXe siècle prêtés par les plus grands musées, l’exposition part sur les traces de ce « Leiris fantôme » qui fut, sans conteste, l’un des esprits les plus visionnaires de son temps. Hanté par toutes les formes de la transe et du sacré, parti à la conquête des autres pour mieux se retrouver, Michel Leiris est un passeur qui a su, mieux que quiconque, se faufiler entre les forces opaques de l’Afrique et les pulsions frénétiques du jazz, un observateur qui ausculta les tréfonds de l’âme des artistes, mais surtout un homme libre qui a embrassé toutes les grandes causes de son siècle, sans jamais se départir de son jugement critique.
Conçue comme un gigantesque kaléidoscope ponctué de citations, l’exposition convoque d’emblée les ombres tutélaires de Leiris (tel l’écrivain Raymond Roussel dont les Impressions d’Afrique seront un stimulus pour son imaginaire), avant d’aborder les méandres de son labyrinthe intime. On le voit ainsi, à l’aube des années 1920, fréquenter la fine fleur des poètes et des écrivains, qui le feront glisser naturellement de ses études de chimie à l’alchimie des mots et aux jeux de l’esprit. Il découvre avec exaltation l’univers minéral d’André Masson, se lie d’amitié avec Antonin Artaud, fréquente Joan Miró, qui l’introduira dans le cercle très fermé des surréalistes. Cela ne l’empêchera pas, en 1929, de faire acte de dissidence pour rejoindre la mythique revue Documents dirigée par Georges Bataille, Carl Einstein et Georges Henri Rivière. C’est là qu’il livrera ses premiers essais fulgurants sur Picasso et Giacometti dont il goûte l’« ancestralité sauvage ». Conçue comme une « machine de guerre contre les idées reçues », la revue sera donc le premier laboratoire dans lequel Leiris affûtera sa plume pour combattre les valeurs étriquées du monde occidental. On y voit aussi germer les obsessions et les fantasmes du futur écrivain, qui partage avec Bataille une certaine attirance pour l’informe et le répulsif.
L’Afrique, une révélation
Une expérience va cependant bouleverser de fond en comble la vie et l’univers sensible de Michel Leiris : sa participation, en qualité de secrétaire-archiviste, à la mission Dakar-Djibouti conduite de 1931 à 1933 par l’ethnologue français Marcel Griaule. « Plonger comme j’allais le faire au cœur du continent noir […], vivre de plain-pied avec des hommes apparemment plus proches que moi de l’état de nature, c’était briser le cercle d’habitudes où j’étais enfermé, rejeter mon corset mental d’Européen », résumera Michel Leiris dans Fibrilles (1966). De ce contact primordial avec le peuple dogon et sa pensée cosmogonique, naîtra ce chef-d’œuvre inclassable qu’est L’Afrique fantôme dont la publication, en 1934, ne manquera pas d’ébranler la communauté des ethnologues. Dans ce journal de terrain et ce journal intime tout à la fois, Leiris consigne dans les moindres détails les danses des masques et les rites de funérailles, les agissements de la mission (y compris ce qui apparaît bel et bien, avec le recul, comme des actes de pillage !), mais aussi ses enthousiasmes et ses désillusions face à un continent qui lui échappe et dont il admire la « formidable religiosité ». Dès lors, cette quête du sacré et du secret ne cessera de hanter le poète qui interrogera, tour à tour, les pulsions morbides et sacrificielles de la tauromachie, la survivance des rituels de possession et du vaudou aux Antilles et à Haïti, avant de succomber à l’envoûtement magnétique des peintures à vif de Francis Bacon.
Commissariat : Agnès de la Beaumelle, conservateur en chef du Patrimoine, Marie-Laure Bernadac, conservateur en chef du Patrimoine et Denis Hollier, professeur de littérature française à la New York University.
Nombre d’œuvres : près de 350.
Scénographie : Agence NC (Nathalie Crinière et Chloé Degaille)
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Michel Leiris, un explorateur des temps modernes
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 14 septembre 2015, Centre Pompidou-Metz. www.centrepompidou-metz.fr, entrée 12 €. Catalogue, éditions du Centre Pompidou-Metz/Gallimard, 400 pages, 350 illustrations, 49 €.
Légendes photos
Man Ray, Michel Leiris, vers 1930, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. © Man Ray Trust. Photo : Centre Pompidou, MNAM-CCI, dist. RMN/Guy Carrard.
Pablo Picasso, Portrait de Michel Leiris, 1963, huile sur toile, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. © Photo : Centre Pompidou, MNAM-CCI, dist. RMN/Georges Meguerditchian.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°436 du 22 mai 2015, avec le titre suivant : Michel Leiris, un explorateur des temps modernes