Portrait d’un virtuose de la nature morte au XVIIIe siècle, auquel le Prado consacre une importante exposition.
Plus grand peintre espagnol de bodegones (ces natures mortes figurant des objets usuels, souvent associés à des victuailles) du XVIIIe siècle, Luis Meléndez (1716-1780) fascina ses contemporains par sa capacité à rivaliser avec le réel. Tel un moderne Zeuxis, peintre grec auquel on attribuait le talent d’avoir trompé les oiseaux par ses raisins peints, il s’ingénia à rendre les fruits, poissons ou terres cuites plus vrais que nature, s’imposant comme le digne héritier d’un Vélasquez ou d’un Zurbarán.
Les premiers bodegones apparaissent en Espagne dans le courant du XVIe siècle. Ils empruntent au monde flamand le sens aigu du détail, et à la peinture italienne son goût pour les représentations d’étalages de cuisines et de marchands, scènes dans lesquelles excellaient Vicenzo Campi et Bartolomeo Passarotti. Mais ce genre ne serait ce qu’il est sans l’introduction, dans les premières années du XVIIe siècle, du luminisme caravagesque. Le maître italien, qui donna à la nature morte ses lettres de noblesse avec sa Corbeille de fruits (1597), influença en effet durablement la production espagnole, comme en témoignent les œuvres de Sánchez Cotán, de Vélasquez ou de Zurbarán, et plus tard celles de Meléndez. Lui-même fils de peintre, ce dernier subit pleinement l’influence italienne, puisqu’il naît et passe son enfance à Naples, l’un des foyers de la nature morte caravagesque. Rentré à Madrid, il travaille aux côtés de son père à la peinture de miniatures destinées à la bijouterie – un apprentissage qui explique la minutie perfectionniste de son style – et fréquente les cours de l’Assemblée préparatoire à l’Académie de San Fernando, dont il sort Premier Prix en 1745. Élève de Louis Michel van Loo, il aurait probablement été un grand portraitiste – pour preuve, son vibrant Autoportrait (1746) conservé au Louvre – sans la violente opposition de son père au projet de l’Académie, alors en train de se créer. Interdit de cours en 1748, Luis Meléndez décide alors d’entreprendre à ses frais un voyage en Italie. Ce n’est qu’à son retour à Madrid, en 1753, qu’il se spécialise dans la nature morte. De 1759 à 1774, il réalise notamment une série de 44 bodegones pour le palais royal d’Aranjuez. Conservés aujourd’hui dans leur quasi-totalité au Prado, à Madrid, ces panneaux décoratifs – encastrés à l’origine dans les parois d’un appartement – constituent un chef-d’œuvre du genre. Figurant « les quatre saisons, avec toutes les espèces comestibles que le climat espagnol produit », ils illustrent la précision du dessin chez Meléndez, son rendu obsessionnel du détail, son goût pour les contrastes lumineux, les coloris subtils et la rigueur de la composition. Évoluant vers toujours plus de sobriété, l’artiste s’éloigne peu à peu de l’héritage napolitain pour renouer avec les racines espagnoles de la nature morte. Marqué par le naturalisme vigoureux de Cotán et de Juan van der Hamen, peintre espagnol d’origine flamande, il épure ses tableaux jusqu’à l’extrême, atteignant parfois une perfection quasi géométrique. Et exacerbe jusqu’à l’irréalité la matérialité des objets les plus simples. Comme l’écrit Charles Sterling, avec Meléndez, « nous redevenons capables d’explorer la peau d’un fruit comme un monde grandiose et énigmatique ». Le peintre meurt dans la misère en 1780, après avoir vainement tenté d’obtenir le titre de peintre du roi. Avec lui s’éteint la grande tradition des bodegones.
Plus de vingt ans après l’exposition qu’il lui consacra, le Musée du Prado à Madrid réitère son hommage à Meléndez en rassemblant une quarantaine de ses peintures. À la différence de la rétrospective de 1982, centrée sur les œuvres conservées en Espagne, l’exposition qui ouvrira le 17 février fera la part belle aux collections étrangères. Seront ainsi réunis, aux côtés d’une sélection de toiles du Prado (16 peintures en tout), 26 tableaux provenant de musées européens ou américains (la National Gallery de Londres et de Washington, le Kimbell Art Museum à Fort Worth, le Museo Nacional d’Art de Catalunya...) et de collections privées. Parallèlement à ces œuvres seront en outre présentés certains des objets immortalisés par l’artiste (poteries vernissées, corbeilles en osier, récipients en cuivre), une confrontation inédite destinée à montrer le réalisme implacable mais aussi l’intense pouvoir de suggestion des bodegones de Meléndez. - LUIS MELÉNDEZ, 17 février-16 mai, Museo del Prado, Bâtiment Villanueva, Paseo del Prado, Madrid, tél. 34 91 330 28 00, tlj sauf lundi, 9h-19h.
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Meléndez, l’éloge du quotidien
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°186 du 6 février 2004, avec le titre suivant : Meléndez, l’éloge du quotidien