Plutôt qu’une banale présentation des « chefs-d’œuvre de la Galerie de Dresde »,
le Musée des beaux-arts de Dijon a préféré évoquer, grâce aux prêts généreux du musée allemand, le rôle du mécénat artistique dans la politique de prestige mise en œuvre par les princes Électeurs de Saxe, au XVIIIe siècle. Dans cette perspective, ils se sont notamment tournés vers la France pour constituer une collection de peintures, d’une richesse bientôt proverbiale, dont les artistes de la cour allaient tirer le meilleur parti.
DIJON - “Il faut bien reconnaître que le règne du grand Auguste est l’époque heureuse où les arts furent introduits en Saxe, alors colonie étrangère. Sous son successeur, le Titus allemand, ils furent adoptés par ce pays où, grâce à eux, le bon goût devint général. Ce sera un témoignage éternel de la grandeur de ce monarque que d’avoir exposé aux yeux de tout le monde les plus grands trésors d’Italie et les chefs-d’œuvre des autres pays afin de former le bon goût.” Dans la dédicace de ses Réflexions sur l’imitation des œuvres grecques... (1755), Winckelmann résume bien l’ambition des princes Électeurs de Saxe, qui, d’une modeste cité, vont faire une capitale artistique et intellectuelle du XVIIIe siècle. Inspirés comme tant d’autres souverains par l’exemple de Louis XIV, Auguste II, dit le Fort (1694-1733) et son fils Auguste III (1733-1763), Électeurs de Saxe et rois de Pologne, mettent les arts (et la culture en général) au cœur d’une politique de prestige et de rayonnement international. Sous leur règne et celui de leurs successeurs, la cour fait appel à de nombreux peintres allemands et étrangers pour servir cette entreprise volontariste qui fera de Dresde “l’Athènes des artistes”.Les paysagistes, comme Thiele et surtout Bellotto, à Dresde de 1747 à 1768, sont invités à fixer sur la toile les beautés naturelles et architecturales de la Saxe, que les courtisans apparentent volontiers à un paradis terrestre. Les toiles du Vénitien, la plupart de grand format, présentées à Dijon, évoquent à travers des œuvres telles Dresde vue de la rive droite avec le pont Auguste, quelques-uns des monuments les plus emblématiques de la ville, comme la Hofkirche. Sérénité et équilibre de la composition et de l’atmosphère confèrent au beau pays de Saxe les allures d’une nouvelle Arcadie, dont la guerre de Sept ans devait écorner les splendeurs (Dresde, les ruines de l’ancienne Kreuzkirche).
Sur le marché parisien
Parallèlement, pour décorer ces nouveaux édifices, églises ou palais, notamment le célèbre Zwinger de Pöppelmann, les princes ont besoin d’artistes rompus à ce genre d’exercice. Louis de Silvestre est de ceux-là. Si ses peintures de plafond ont été victimes de la dernière guerre, ses tableaux, sacrés ou profanes, témoignent de son activité inlassable à Dresde où il reçoit le titre de premier peintre. Son neveu, Charles Hutin, auteur d’une délicate Jeune fille avec une lettre, viendra plus tard tenter sa chance. Côté italien, outre Bellotto, la cour recrute le portraitiste Pietro Rotari, auquel on peut préférer le Suisse Anton Graff. En effet, à côté de seconds couteaux de la peinture européenne, comme Silvestre ou Rotari, les artistes germaniques n’ont guère de mal à briller, même s’ils reprennent ostensiblement les recettes éprouvées ailleurs. Formé au contact de Vénitiens, Anton Kern s’affirme avec Le Massacre des innocents comme un digne continuateur de Pittoni ou Tiepolo. Quant à Dietrich, s’il pastiche sans vergogne Rembrandt dans sa Résurrection de Lazare, il déploie dans ses scènes mythologiques sur fond de paysage une belle sensibilité, et une palette sensuelle de bruns et de verts. Ne manque à cet inventaire que Mengs, absent pour cause de rétrospective, à Dresde justement.
Ainsi qu’a pu le suggérer l’exemple de Dietrich, “dès le milieu du XVIIIe siècle, la peinture de Dresde n’était plus imaginable sans la source d’inspiration que constituait la Galerie de peintures”, note son directeur actuel, Harald Marx. Pendant nécessaire du mécénat artistique, la constitution d’une collection de tableaux apparaît comme l’une des priorités d’Auguste le Fort et surtout de son fils, un authentique connaisseur, qui, de 1711 à 1719, avait accompli son “Grand Tour”. Installée après 1745 dans un bâtiment spécifique, elle sera ouverte au public des amateurs et des artistes. Comme l’indique la seconde partie de l’exposition consacrée aux acquisitions réalisées en France, les collections saxonnes se sont principalement enrichies de peintures anciennes. Le plus beau “coup” fut certainement l’achat d’une centaine de tableaux au duc de Modène, en 1746, avec tous ses maîtres de la Renaissance. Toutefois, les agents des princes de Saxe – Hyacinthe Rigaud en fut – se sont révélés très actifs sur le marché parisien, où l’on trouve de tout : Allemands (Dürer, Holbein), Hollandais (Netscher, Berchem, et surtout Wouwerman, avec 19 tableaux acquis en France) ou Flamands (Rubens, Van Dyck, Teniers). La section italienne, dans laquelle se côtoient Vénitiens et Bolonais, confirme l’ambition encyclopédique d’une entreprise bien dans l’esprit du temps, dont la création d’un musée apparaît comme le prolongement naturel. Qu’il s’agisse du Jugement de Pâris, véritable concentré de l’art rubénien, ou de La Fille d’Hérodiade, l’une des plus belles toiles de Carlo Dolci, peintre mésestimé s’il en est, les agents des princes se révèlent être des hommes de goût. Avec deux Poussin d’exception (Moïse exposé sur les eaux, Pan et Syrinx), ou encore Lorrain et Watteau, leur choix d’œuvres françaises s’avère tout aussi incontestable. Grâce à eux, les tableaux de Dresde composent une collection exemplaire, qui se présente comme le complément essentiel de toute politique artistique.
- DRESDE OU LE RêVE DES PRINCES, jusqu’au 1er octobre, Musée des beaux-arts, palais des États de Bourgogne, 21 000 Dijon, tél. 03 80 74 52 09, tlj sauf mardi 10h-18h, le jeudi jusqu’à 20h. Catalogue, éd. RMN, 288 p., 275 F.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Mécènes et peintres
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €- À lire : Michel Espagne, Le Creuset allemand, histoire interculturelle de la Saxe, XVIIIe-XIXe siècles, Paris, PUF, 2000, 328 p., 198 F.
- En complément, le musée présente une exposition sur les porcelaines de Saxe dans les collections françaises.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°130 du 29 juin 2001, avec le titre suivant : Mécènes et peintres