Lui-même rameur aguerri, Gueldry s’est spécialisé dans la représentation de ce sport en vogue à la fin du XIXe siècle. Cette toile, réalisée en 1882, rassemble les ingrédients prisés des « peintres de la vie moderne ».
Difficile à imaginer aujourd’hui, tant il est omniprésent et valorisé dans notre société, mais le sport n’a longtemps pas eu droit de cité dans notre quotidien. Réservé à une petite élite, qui elle seule avait le temps et l’énergie de s’y adonner, il ne se démocratise qu’à la fin du XIXe siècle. Indissociable des luttes sociales et de l’émergence des loisirs, il devient presque instantanément l’un des sujets les plus prisés des artistes, toutes écoles confondues. En France, au lendemain de la guerre franco-prussienne (1870-1871), le thème du sport s’impose en peinture grâce à des compositions pleines de vie, de dynamisme et d’enthousiasme qui collent avec l’état d’esprit auquel aspire la population. La pratique sportive condense en effet des valeurs éminemment positives : le respect de l’autre, le goût de l’effort, le dépassement de soi et le mérite.
Mais si elle séduit les artistes, c’est surtout parce qu’elle offre un répertoire de sujets inédits et dans l’air du temps à même d’attirer une vaste clientèle. Les courses et autres épreuves sont en effet prétexte à des compositions spectaculaires condensant tous les motifs à la mode : les loisirs, les modes de sociabilité, la foule, mais aussi la figure du héros contemporain. Évidemment, la représentation du corps et du mouvement, deux sujets incontournables dans la peinture moderne, jouent beaucoup dans l’intérêt des artistes. A fortiori lorsqu’ils sont eux-mêmes des sportifs accomplis. Les activités nautiques ont tout particulièrement séduit les peintres, qui ont temporairement troqué leurs pinceaux contre des rames, en amateur mais aussi à niveau professionnel. C’est le cas de Ferdinand Gueldry (1858-1945) quilivre une vision on ne peut plus réaliste de son sport en peignant Match annuel à l’aviron entre la Société nautique de la Marne et le Rowling club (1882).
En tendant l’oreille on pourrait presque entendre la clameur de la foule. Les spectateurs sont d’ailleurs si nombreux et agglutinés que le peintre les a représentés de manière presque abstraite. Malgré cette stylisation, on comprend tout de même qu’ils s’époumonent, exultent, se penchent, lèvent les bras, leurs cannes, leurs ombrelles ou leurs chapeaux pour encourager leurs champions. Certains se sont même juchés sur le parapet, ou sur les épaules de leurs voisins, pour ne pas perdre une miette de la course. Que ce soit dans les stades, les hippodromes, et plus encore en plein air, le sport attire le public. En cette fin de XIXe siècle, cette activité fédère comme jamais depuis l’Antiquité. Assister à un événement sportif devient même l’un des loisirs préférés des Européens, quel que soit leur statut social. Ce rituel est même si populaire qu’en Île-de-France, le dimanche, les bords de Marne et de Seine sont le théâtre de ballets presque ininterrompus de rameurs et de canoteurs.
Longtemps crainte, l’eau devient au XIXe siècle un élément central de la vie sociale autant que de la santé. S’il est encore téméraire de piquer une tête dans la Seine, le fleuve est à l’époque le lieu de baignade privilégié des Parisiens. On y barbote mais surtout on s’y adonne à toutes sortes d’activités nautiques, sportives ou de loisir. Les élégantes apprécient les promenades sur l’eau qui permettent d’admirer le paysage en glissant sur les flots, tout en portant sa plus belle toilette du dimanche. Les plus athlétiques s’adonnent en revanche aux régates de canots mais surtout d’aviron. Un sport très exigeant importé d’Angleterre, qui connaît un grand succès dans la seconde moitié du siècle. En l’espace de quelques années, cette pratique s’implante dans toutes les grandes villes traversées par un fleuve et entraîne la création de clubs dédiés. Les artistes, toutes tendances confondues, adoptent rapidement ce sport en vogue et extrêmement photogénique dans leur répertoire de motifs.
Bien qu’il ne relève pas de la mouvance impressionniste, ce tableau en adopte toutefois tous les codes iconographiques. Artiste classique, Ferdinand Gueldry se glisse ici dans les habits d’un peintre de la vie moderne. Tous les marqueurs de la société des loisirs, motif phare des avant-gardes, figurent dans la composition : la Seine, le pont métallique, les effets de lumière, la foule jouissant de son temps libre, et même la cheminée d’usine fumant à l’arrière-plan. Peintre un peu oublié aujourd’hui, Gueldry a sans doute été l’un des meilleurs témoins des loisirs nautiques de ses contemporains. On ne compte plus le nombre de tableaux et d’illustrations qu’il a réalisés sur ce sujet. Scènes de canotage, d’écluses, mais surtout régates d’aviron lui ont inspiré des compositions très vivantes. Il faut dire qu’il connaît bien le sujet pour être lui-même un rameur aguerri. L’artiste fut en effet l’un des premiers membres de la Société nautique de Nogent-sur-Marne et a disputé des compétitions d’aviron outre-manche.
L’engouement des artistes pour l’aviron est des plus logiques puisque ce sport offre des scènes spectaculaires et dynamiques. Les peintres ont ainsi réalisé de nombreux tableaux représentant des scènes d’entraînement, des portraits de champions, mais surtout des régates. Ces courses très à la mode permettent en effet de faire montre de son talent pour croquer l’eau et son mouvement mais surtout pour immortaliser les exploits athlétiques des rameurs. La position des sportifs, ramant à l’unisson, leur musculature avantageuse et leur posture identique, encore soulignée par leurs costumes uniformes, ne pouvaient que séduire les peintres modernes. Tout comme la dramaturgie de la course avec son suspense haletant et ses figures imposées. Ici, la régate organisée entre Boulogne et Suresnes vient tout juste de se terminer. L’arbitre abaisse son drapeau pour désigner l’équipe de droite et Gueldry parvient avec brio à capturer le moment décisif à la manière d’un instantané photographique.
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Match annuel à l’aviron, Ferdinand Gueldry
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°776 du 1 juin 2024, avec le titre suivant : Match annuel à l’aviron, Ferdinand Gueldry