Entretien

Marion Laval-Jeantet : « L’expérience psychotrope a des dimensions cryptiques »

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 18 février 2013 - 531 mots

Marion Laval-Jeantet, artiste et tête pensante d’Art Orienté Objet avec Benoît Mangin, raconte son expérience psychotrope extrême menée en Afrique.

Bénédicte Ramade : Vous avez fait l’expérience de l’iboga au Gabon, quels sont les effets de cette plante ?
Marion Laval-Jeantet : Pour les Gabonais, l’iboga est une plante sacrée à l’origine d’un rite hérité des Pygmées : le Bwiti. Ce nom dit tout, en fait, car il est construit du verbe mitsogho boêté qui veut dire littéralement « sortir le noyau de sa gangue ». C’est-à-dire que les initiés ingèrent la racine broyée de ce bois sacré pour provoquer un coma au cours duquel l’esprit fera un voyage hors du corps. Le « noyau » sort de sa gangue corporelle. C’est une expérience qui, si elle est bien menée, est assez forte et violente, car on est censé y expérimenter une approche de la mort, ce que le New Age appellerait un voyage astral.
Personnellement, je l’ai subie deux fois, dans les deux rites qui existent, et j’ai l’impression d’être allée assez loin dans ce voyage initiatique. Mais tous les cas existent : certains tombent dans un coma très long, d’autres prennent jusqu’à un litre de poudre sans décoller le moins du monde. Cela dit, une initiation est considérée comme réussie quand on est parti assez loin pour ramener des paroles de décédés ou d’esprit reconnus par le groupe.

B.R. : Avez-vous gardé des souvenirs concrets de ces expériences ?
M. L.-J. : Absolument, on n’oublie rien de sa nuit d’initiation. Comme si le corps mourait pour laisser l’esprit fonctionner au centuple et imprimer l’ensemble des visions qu’il reçoit. On ne perd jamais le contrôle de sa pensée dans l’iboga, c’est un psychotrope, mais on n’est pas dans l’hallucination aléatoire. En revanche, on perd complètement la capacité de bouger, de se lever, parfois même d’ouvrir les yeux. Le coma est plus ou moins lourd, avec une hyperconscience de son environnement.

B.R. : Est-ce réaliste d’essayer de représenter visuellement une parcelle de cette expérience ?
M. L.-J. : Parfaitement. D’abord parce qu’une grande partie de ce qu’on reçoit vient sous forme de visions. Ce faisant, je ne pense pas qu’on ait le désir d’un réalisme quelconque puisque la vérité qu’on transmet provient d’un invisible. Je pense que l’expérience psychotrope a des dimensions cryptiques qui se révèlent différemment une fois traduites artistiquement. Il est vraisemblable que l’art autorise une compréhension différente du vécu en grande partie intransmissible verbalement.
Cela dit, nous avons trouvé intéressant de livrer un récit oral avec une des pièces que nous avons réalisées, cela permet de prendre la mesure de la distance entre le ressenti traduit artistiquement et la narration brute.

B.R. : Comment cela a-t-il irrigué votre pratique dans Art Orienté Objet ?
M. L.-J. : Cela a considérablement influencé notre pratique depuis une dizaine d’années. J’ai subi ma première initiation en 2001, Benoît a suivi en 2003, c’était devenu une nécessité, car il ne percevait pas la profonde modification de la conscience que représentait cette expérience. Nous nous sommes rejoints dans un autre monde… peuplé d’esprits, d’animaux, d’entités forestières. Nous appartenons aussi à ce monde symbiotique. Nous sommes plus à l’écoute, plus sereins aussi, ce qui est un exploit dans le gâchis contemporain.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°655 du 1 mars 2013, avec le titre suivant : Marion Laval-Jeantet : « L’expérience psychotrope a des dimensions cryptiques »

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