PARIS
Les travaux de cette photographe franco-espagnole s’inscrivent dans l’obscurité pour mieux saisir les détails du quotidien.
Paris. Depuis quelques années déjà, Agnès Sire portait l’idée de consacrer une exposition à Marie Bovo à la Fondation Henri Cartier-Bresson. C’est chose faite, avec « Marie Bovo. Nocturnes » constituée de cinq séries de photographies et deux films. La directrice artistique de la Fondation n’a retenu que des travaux réalisés entre la tombée et le lever du jour, la nuit étant un élément récurrent dans nombre de séries de l’artiste. À commencer par la dernière, « Evening Settings », jamais montrée et illustrant la préparation des repas dans un village ghanéen. Chaque jour se déroule le même rituel le matin et le soir quand il fait nuit noire. Les cours devant les maisons se transforment en cuisine et leur sol devient un théâtre d’objets éparpillés et éclairés par une lumière réduite souvent à une seule ampoule. La prise de vue à la chambre 4x5 et le temps de pose long que ces conditions de lumière requièrent impriment sur la pellicule uniquement ce qui ne bouge pas. Trop flous, les individus n’apparaissent donc pas. Seuls les objets disposés de-ci, de-là témoignent de leur présence humaine. Les situations ainsi formées donnent une vie propre à chacun et le grand format du tirage confère une présence, une matière et un camaïeu de couleurs aux éléments les plus insignifiants. Une multitude de détails émerge de la scène que l’on peut observer à loisir.
Il règne un grand calme dans cette condensation du temps, un calme qui imprègne aussi les autres séries présentées. Camp de Roms sur une voie de chemins de fer désaffectée à Marseille ou cours intérieures d’immeubles du quartier de la Joliette, quadrillées de linges suspendus : le protocole de la prise de vue aboutit à des tableaux de scènes quotidiennes, à des récits de situations, ou d’événements intimes passés ou en suspens. Dans La Chambre claire, Roland Barthes écrit : « Ce n’est […] pas par la peinture que la photographie touche à l’art, c’est par le théâtre. » La formule s’applique idéalement à Marie Bovo dont les deux films réalisés eux aussi de nuit développent une autre forme narrative – avec un début et une fin –, mais tout aussi suggestive. Dans La Voie lactée (11 minutes, 2016), le parcours du lait déversé d’une casserole oubliée sur une gazinière jusqu’aux eaux du vieux de port de Marseille est en ce sens une épopée métaphorique inoubliable.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°544 du 24 avril 2020, avec le titre suivant : Marie Bovo, entre chien et loup