L’exposition est sans doute modeste : un sobre et laconique aperçu de quelques dizaines d’ouvrages, dessins, projections et films signés Marcel Broodthaers. Mais l’occasion est trop belle. Et si de nombreux artistes se réclament aujourd’hui de son héritage, si la légende est incontestablement forgée, bien peu de manifestations (en dépit de la grande rétrospective du Jeu de Paume en 1991) rendent finalement compte du travail aussi futé que difficile du poète – stratège – plasticien belge et de
son entreprise héroïque. Ici, pas de marmites de moules, ni d’os, ni de coquilles d’œuf, ni de caisses en bois issues de son musée d’Art moderne – département des Aigles.
La Kunsthalle de Vienne se frotte à Broodthaers par le petit bout de la lorgnette, écartant les objets pour débrouiller imperceptiblement les fils troubles de la stratégie fictionnelle amorcée tardivement par le maître de la pirouette et du signe. C’était en 1964, avec le célèbre « Moi aussi, je me suis demandé si je ne pouvais pas vendre quelque chose et réussir dans la vie… » L’exposition de la galerie Saint-Laurent à Bruxelles fait alors office de programme fulgurant et roublard jeté au public pour annoncer la première véritable incursion de Broodthaers dans le champ des arts plastiques. Le poète-photographe nouvellement converti figea pour l’occasion quelque cinquante exemplaires de l’un de ses recueils de poésie dans du plâtre. Le parcours viennois maintient cette proposition inaugurale en filigrane, balayant les exercices subtils imaginés par l’artiste au cours des dix années suivantes, alors qu’il soumet chaque production artistique aux règles de la culture capitaliste avec autant de désenchantement que de malice. L’exposition se penche aussi sur les considérations tardives de Broodthaers, occupé dès le tournant des années 1970 à établir les « rapports entre l’objet et l’image de cet objet […] entre le signe et la signification d’un objet particulier ». Autrement dit, l’écriture. Plaques en matière plastique barrées d’inscriptions, livres, toiles photographiques, signatures de l’artiste sont autant de procédés efficaces et subversifs capables d’explorer les codes culturels, et de brandir imperceptiblement la poésie contre toutes les tentations de l’interprétation.
« Marcel Broodthaers », VIENNE (Autriche), Kunsthalle, Museumplatz 1, tél. 43 1 52 189 1201, www.kunsthallewien.at, jusqu’au 26 octobre.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Marcel Broodthaers, le poète magnifique
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°551 du 1 octobre 2003, avec le titre suivant : Marcel Broodthaers, le poète magnifique