« Tout est dit, et l’on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes et qui pensent. Sur ce qui concerne les mœurs, le plus beau et le meilleur est enlevé ; l’on ne fait que glaner après les anciens et les habiles d’entre les modernes », constate La Bruyère.
Sur Homère, en particulier, tout n’a-t-il pas été dit, depuis ce VIIIe siècle av. J.-C. où furent fixées les épopées chantées de L’Iliade et L’Odyssée, seuls vestiges d’un cycle beaucoup plus vaste dont les textes ont été perdus ? Peut-être. Depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, peintres, sculpteurs, musiciens, cinéastes, écrivains y glanent leur inspiration pour dire les plus grands drames humains : l’amour, la guerre, la colère, la douleur du deuil, le désir de vengeance, l’attente… L’exposition « Homère » au Louvre-Lens leur est consacrée – à eux, ces enthousiastes de tous les âges, semblables à ces anneaux de fer décrits par Platon, attirés par une pierre de magnésie, Homère, qui leur communique l’inspiration reçue des Muses et des dieux. D’Homère, tout a été dit, sans doute – Raphaël, Rubens, Hugo, Chagall ont repris ses épopées. À l’entrée de l’exposition, une toile monumentale de Cy Twombly, Achille pleurant la mort de Patrocle, donne le ton, avec son rouge qui semble se répandre sur la toile de façon aussi soudaine qu’éternelle, comme aussi sa mine de plomb qui blesse et lacère. On n’en va pas moins de surprise en surprise tout au long de l’exposition. Là, c’est un casque fait de dents de sanglier, en tout point semblable à celui décrit dans le chant X de L’Iliade, qui nous frappe : ces casques, dont l’archéologie a fourni de nombreux exemplaires, sont datés du XVIe au XIe siècle av. J.-C., témoignant avec éclat de l’ancienneté du poème épique avant sa mise par écrit. Là-bas, c’est un ostracon, sur lequel un petit Grec ayant vécu en Égypte au VIe siècle a recopié les premiers vers de L’Iliade avec des fautes, qui pique notre curiosité. Ou encore, sur un écran muni d’un casque, ce sont des bardes de la région Novi Pazar, dans l’actuelle Serbie, qui nous hypnotisent, en chantant dans leur langue natale les vers d’Homère qu’ils savaient par cœur au début du XXe siècle, comme les aèdes antiques. Homère, Homère, toujours recommencé.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°724 du 1 juin 2019, avec le titre suivant : Magnétique Homère