La nature et la culture, le mythe et l’histoire, la genèse de l’univers, l’espace et le temps, sont autant de thèmes qui hantent les créations d’Anselm Kiefer. À travers quatre séries d’œuvres – 25 tableaux monumentaux
et 11 gouaches –, la Fondation Beyeler,
à Bâle, retrace le parcours central de son œuvre, de ses débuts à aujourd’hui.
BÂLE - “Je pense verticalement, et le fascisme a représenté un de ces niveaux. Mais je vois toutes ces couches. Dans mes tableaux, je raconte l’histoire pour montrer ce qu’il y a derrière l’histoire. Je fais un trou et je passe à travers”, explique l’artiste allemand Anselm Kiefer, auquel la Fondation Beyeler rend hommage. L’exposition s’ouvre sur les Hölzerne Innenräume (Intérieurs de bois), tableaux de greniers du début des années 1970, évoquant l’univers mythologique des grandes légendes héroïques. Leur succèdent les Steinerne Hallen und Höfe (Salles et cours de pierre) de la première moitié des années 1980, dont une partie se réfère très concrètement à l’architecture nazie. Dans sa production des années 1970-1985, où il aborde les thèmes germaniques récupérés par le national-socialisme, Kiefer s’interroge sur les fondements et désastres de la culture allemande. Comme l’explique Daniel Arasse dans son ouvrage consacré à l’artiste (lire le JdA n° 138, 7 décembre 2001), “Kiefer se livre moins à ce qu’on a coutume d’appeler un travail ‘de’ mémoire qu’à un travail ‘sur’ la mémoire.” Dans Sulamith (1983), qui clôt cette série, les sept flammes installées au fond du tableau, faisant allusion au chandelier à sept branches du Temple de Jérusalem, transforment un espace consacré au culte des morts “aryens”, en mémorial des victimes de l’Holocauste. Certains critiques ont vu en cette interrogation sur la mémoire une manière douteuse de renouer avec les nostalgies d’une antique germanité.
Figurer l’infini cosmique
À partir des années 1995-1996, Kiefer dépasse ses références à la culture allemande pour s’attaquer à la cosmologie, comme dans Dein und mein Alter und das Alter der Welt (Ton âge et mon âge et l’âge du monde, 1997), extraite de la série Ziegelarchitekturen (Architectures de brique). Occupant presque tout l’espace de la toile, une imposante pyramide se détache d’un ciel opaque dans lequel Kiefer a placé la citation d’un poème d’Ingeborg Bachmann – qui donne son titre à l’œuvre – évoquant l’immensité du temps par rapport à la vie humaine. Pratique courante chez l’artiste depuis ses premières compositions, l’intrusion d’inscriptions est aussi utilisée dans Der Sand aus den Urnen (Le Sable des urnes, 1997) pour faire référence une fois encore à Bachmann et à un poème de Paul Celan, publié à Vienne en 1948. Souvent énigmatique, la peinture de Kiefer laisse le spectateur libre de son interprétation. Comme il le précisait en 1987, “je ne peux que rendre mes sentiments, mes pensées, et mon intention dans les peintures. Je les rends aussi précisément que je le peux et, après, [...] c’est vous qui décidez ce que sont les tableaux et ce que je suis”. Figurant l’infini cosmique, les Kosmos und Sternenbildern (Images cosmiques et sidérales) réalisées en 1999 et 2000 achèvent le parcours. Le ciel étoilé de Lichtzwang (1999) semble capturé à la surface de la toile, tandis que des lignes imaginaires reliant les étoiles les unes aux autres dessinent d’hypothétiques constellations. Dans Sol invictus (1995), Kiefer se représente aux côtés d’un immense tournesol, allongé nu, les yeux fermés, les bras le long du corps, position que Thomas McEvilley a rapproché d’un exercice de yoga, “contrôle de l’esprit”, censé conduire à une régénérescence de soi.
- ANSELM KIEFER – LES SEPTS PALAIS DU CIEL (1973-2001), jusqu’au 17 février, Fondation Beyeler, Baselstrasse 77, Riehen/Bâle, Suisse, tél. 41 (0)61 645 97 00, tlj 10h-18h et 20h le mercredi. Catalogue, 109 p., 48 francs suisses (32,2 euros).
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L’univers Kiefer
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°140 du 11 janvier 2002, avec le titre suivant : L’univers Kiefer