Scientifique et artistique, l’exposition nancéienne explore la lumière dans un parcours captivant.
NANCY - Pour sa troisième exposition, le professeur Jean-Pierre Changeux – à qui l’on doit notamment « L’âme au corps » en collaboration avec Jean Clair, en 1993 au Grand Palais, à Paris –, propose un projet ambitieux sur le thème de la « Lumière au Siècle des lumières ». Celui-ci s’inscrit dans le programme de la saison de Nancy 2005, conçue autour du rapport de l’homme à la science et au progrès au XVIIIe siècle. Comme l’écrit le commissaire dans le catalogue de l’exposition, son propos est « d’offrir un enchaînement visuel facile à saisir, qui mène de l’intelligibilité du phénomène naturel qu’est le rayonnement lumineux ; à sa perception par l’œil et le cerveau ; puis au passage de la perception à la connaissance par l’expérience visuelle et sa mise en mémoire ; ensuite, de la transition du jugement perceptif au jugement moral avec la nouvelle conception du monde qu’elle entraîne ».
Newton et Turner
Vaste sujet, qui prend ici l’allure d’une aventure passionnante à la croisée de l’art et de la connaissance. Bien construit, rigoureux et clair, le parcours se déroule en six sections entremêlant œuvres d’art, documents, manuscrits et instruments scientifiques. Nombre de pièces proviennent du Musée des arts et métiers, à Paris, auxquelles s’ajoutent des prêts exceptionnels de Versailles (la Pendule dite « La création du monde », de Germain François-Thomas, 1754, en bois sculpté et bronze doré), du Vatican (trois délicates huiles sur bois de Donato Creti), ou de collections particulières.
Au Siècle des lumières, la science produit des concepts inédits qui ont offert à l’art de nouvelles sources d’inspiration. L’exposition s’ouvre sur la figure d’Émilie du Châtelet, maîtresse de Voltaire et traductrice d’Isaac Newton (1642-1727). Les écrits de l’inventeur génial sur le rayonnement lumineux (Nouvelle théorie sur la lumière et les couleurs, 1672) vont nourrir les recherches menées au XVIIIe siècle et inspirer des peintres comme Turner, Vernet ou Le Lorrain, ici représentés.
Accueilli par un Écorché au bras gauche levé d’Edme Bouchardon, le visiteur pénètre dans une salle étonnante consacrée à la physiologie de l’œil et de la vision. Planches anatomiques de Jacques-Fabien Gautier d’Agoty – de véritables œuvres d’art –, cerveaux en coupe, têtes de cire, yeux et rétines composent une saisissante vitrine. Puis le parcours s’oriente vers une approche esthétique de la lumière, abordant la question de la perception, de la contemplation et du beau en peinture. Parmi les pièces rares figure un tableau attribué à Giovanni Battista Spinelli montrant Judith se protégeant de la lumière divine après avoir tranché la tête d’Holopherne, une représentation pour le moins inhabituelle de cet épisode.
La seconde partie de l’exposition est davantage tournée vers les idées des Lumières, celles de Diderot en particulier avec sa Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient (1749), introduction à un chapitre très documenté sur les troubles de l’œil – le panneau des maladies des yeux du docteur Afanassenko –, mais aussi les illusions d’optique, les jeux de miroir et les anamorphoses.
Récit de voyage
Par le biais du récit du voyage de Louis Antoine de Bougainville (1766-1769) – premier officier de la Marine royale à diriger un tour du monde dans un but à la fois géographique, scientifique, politique et commercial –, Jean-Pierre Changeux aborde les grandes questions qui animent la pensée des Lumières à la fin du XVIIIe siècle : l’ouverture au monde, le mythe du bon sauvage et, plus tard, la Déclaration des droits de l’homme. Un ensemble de tableaux et de gravures faisant référence aux grands voyages et à l’exotisme viennent illustrer cette section. Enfin, l’exposition se conclut légitimement avec l’abbé Grégoire, personnalité lorraine emblématique de l’aboutissement des idées des Lumières – notamment en ce qui concerne l’abolition de l’esclavage et l’égalité des hommes – et fondateur du Conservatoire national des arts et métiers.
Jusqu’au 16 décembre, Galeries Poirel, 3, rue Victor-Poirel, 54000 Nancy, tél. 03 83 32 31 25, www.nancy2005.com, tlj sauf mardi 10h-18h. Catalogue, éd. Odile Jacob, 348 p., 49 euros, ISBN 2-7381-1644-2.
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Lumière sur l’art et la science
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaire général de l’exposition : Jean-Pierre Changeux - Chef de projet : Patricia Ciriani - Chef de mission Nancy 2005 : Nadine Descendre - Scénographe : Roberto Ostinelli, assisté de Flavio Bonuccelli - Nombre de pièces exposées : 300
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°225 du 18 novembre 2005, avec le titre suivant : Lumière sur l’art et la science