Faisant appel à de nombreux autres travaux de Georges Seurat, comme à des tableaux de maîtres anciens ou modernes, la National Gallery se livre à une véritable enquête sur la signification et les étapes de la création de son chef-d’œuvre de jeunesse : Une baignade à Asnières.
LONDRES. Exposée à Paris au Salon des Indépendants de 1884, alors que le peintre était âgé de 25 ans, Une Baignade à Asnières est la première œuvre majeure de Georges Seurat. Depuis son arrivée à la National Gallery, en 1924, cette œuvre de jeunesse du peintre obtient auprès du public un succès qui ne se dément pas. Paradoxalement, sa séduction tient largement à ses nombreuses contradictions. En effet, cette grande toile – un peu plus de deux mètres sur trois – semble à première vue appartenir à la catégorie des "scènes au bord d’un fleuve" impressionnistes. Or, Seurat s’écarte en fait radicalement de ce mouvement. Malgré son apparente spontanéité, la composition a été soigneusement préparée et précédée d’une remarquable série de 13 études à l’huile et de 10 dessins au crayon noir. Enfin, si le format du tableau évoque une peinture d’histoire, son sujet s’en éloigne résolument. À vrai dire, le thème de la Baignade demeure un peu mystérieux. Certains y ont vu des allusions sociales cachées, bien éloignées de l’esprit des régates à Argenteuil de Monet ou des promenades en barque de Renoir. Les fumées s’échappant des cheminées d’usines, la réputation de saleté de ce lieu de baignade, situé au niveau d’un égout, et l’absence de mondanités entre les personnages sont les principaux arguments de la thèse émise par Benedict Nicolson en 1941. Mais peut-être Seurat a-t-il représenté sans arrière-pensée des jeunes travailleurs profitant de leur pause de midi…
Appel à témoins
Toutes ces questions sont abordées dans l’exposition de la National Gallery, qui se livre à un véritable examen de l’œuvre à travers les études préparatoires de Seurat, les compositions dont l’artiste pourrait s’être inspiré et diverses scènes de banlieue peintes par lui-même ou ses contemporains, Émile Bernard, Van Gogh et Paul Signac. L’immense toile de la Baignade trône au centre de l’exposition, entourée de l’ensembre des études préparatoires à l’huile – toutes exécutées en plein air sur des couvercles de boîtes de cigares – et de neuf dessins au crayon noir dans lesquels Seurat travaille la pose de ses personnages et résoud en atelier plusieurs détails importants. L’un des dessins présentés n’avait encore jamais été exposé ni reproduit ; il était pourtant connu en 1991-1992, à l’époque de la rétrospective Seurat à Paris, au Grand Palais, et au Metropolitan Museum de New York. Il s’agit d’une seconde étude préparatoire à Écho, qui montre le garçon debout dans l’eau, s’apprêtant à boire dans ses mains. À propos de cet ajout majeur à l’œuvre de Seurat, Richard Thomson, professeur d’art à l’université d’Édimbourg et auteur d’une monographie publiée chez Phaidon en 1985, explique : "Ce dessin appartenait au poète symboliste Henri de Régnier et vient d’une collection privée parisienne. Il n’a figuré dans aucune exposition récente de Seurat et n’a peut-être encore jamais été vu. Il est exécuté sur un papier légérement différent, et il sera intéressant de l’accrocher à côté des autres pour voir quelles conclusions s’imposent". Des œuvres de Poussin, Ingres, Corot, Daumier, Paul Huet, Lépine, Puvis de Chavannes et Monet sont également exposées comme éléments de comparaison. Choisies pour leur ressemblance de composition avec La Baignade, elles feront apparaître, d’après le professeur Thomson, "comment le peintre en est venu à cette œuvre, non seulement à partir de son propre travail, mais aussi de ce qu’il regardait à l’époque. C’est une œuvre belle et sereine, ajoute ce spécialiste, et je ne veux pas en détruire la poésie par trop d’interprétation. Mais il ne faut surtout pas oublier que c’est l’œuvre d’un jeune homme en pleine évolution. Rien ne prouve qu’il ait jamais considéré ce tableau comme un échec ; il le voyait sans doute davantage comme une étape de sa carrière".
SEURAT ET LA BAIGNADE À ASNIÈRES, jusqu’au 28 septembre, National Gallery, aile Sainsbury, Trafalgar Square, Londres, tél. 44 171 747 28 85, tlj 10h-18h, mercredi 10h-20h, dimanche 12h-18h.
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A Londres toutes les promesses de Seurat
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°41 du 4 juillet 1997, avec le titre suivant : A Londres toutes les promesses de Seurat