PARIS
L’exposition est née d’un coup de foudre : celui de l’artiste néerlandais Jan Dibbets (né en 1941) avec un manuscrit médiéval datant du IXe siècle, la Louange à la Sainte Croix du théologien et grammairien carolingien Raban Maur, à la BnF.
« Les pages magiques remplies de lettres, mathématiquement ordonnées avec des formes simples et colorées – cercles, croix, triangles, carrés –, harmonieusement intégrées dans le texte, formaient un magnifique ensemble abstrait. On avait l’impression qu’une personne du XXIe siècle avait œuvré il y a mille deux cents ans », écrit Jan Dibbets dans le catalogue de cette étonnante exposition carte blanche. Celle-ci se déploie dans une seule grande salle – comme dans une page de livre. Sur les murs, au sol, dans des vitrines, des œuvres d’art conceptuel et minimaliste – trente-six carrés plats en acier du sculpteur américain Carl Andre, des trames de François Morellet ou encore des compositions de carrés de Sol LeWitt – entrent en résonnance avec les extraordinaires poèmes figurés, composés à la gloire du verbe divin par ce moine du monastère de Fulda, en Germanie. Disposés en carrés ou en rectangles, ses textes comportent toujours le même nombre de lettres. Certaines sont intégrées dans des figures cruciformes, au sein desquelles apparaissent d’autres vers, qui peuvent être lus indépendamment du poème principal. Face à ces fascinants poèmes graphiques, nos repères spatio-temporels se brouillent – comme si le temps s’était inversé et que les œuvres de nos contemporains étaient en réalité des brouillons des compositions virtuoses de Raban Maur.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°719 du 1 janvier 2019, avec le titre suivant : L’invention de l’espace ou l’inversion du temps