La National Gallery de Londres propose une exposition autour de ce chef-d’œuvre de ses collections, qui est aussi l’une des peintures préférées des Britanniques.
Stephen Bann, chercheur à l’université de Bristol et spécialiste du peintre, est formel : « En Grande-Bretagne, Paul Delaroche est plus connu qu’Ingres ou que Delacroix ! » Or, si ce n’est une exposition à Nantes en 1999, les historiens de l’art français ont, jusqu’à présent, fait peu de cas du peintre. Et son œuvre la plus monumentale, le décor de l’hémicycle de l’École des beaux-arts de Paris (lire p. 75), reste encore difficile d’accès. Tel est le curieux paradoxe de la notoriété de Paul Delaroche (1797-1856), qui a eu le malheur de faire carrière à une époque dominée par les figures d’Ingres et de Delacroix.
En 1834, Delaroche éclipse Ingres
Comment, toutefois, expliquer ce succès outre-Manche ? Le choix de sujets puisés dans l’histoire anglaise n’y est bien sûr pas étranger. Dans cette grande toile, exposée au Salon de 1834, Paul Delaroche choisit d’illustrer le martyre d’une jeune reine protestante anglaise du xvie siècle.
Dans le contexte de la monarchie de Juillet, nombreux sont les artistes à cultiver une forme de nostalgie pour l’Ancien Régime et ses vestiges artistiques, réunis notamment au musée des Monuments français, à Paris. Un goût émerge alors, qualifié de « style troubadour », puisant aux sources visuelles du Moyen Âge et de la Renaissance, périodes progressivement réhabilitées après des années de discrédit. Les drames de la royauté anglaise trouvent alors une résonnance particulière chez les monarchistes.
Delaroche, qui cherche à s’émanciper de l’académisme, trouve donc dans l’histoire anglaise des sujets susceptibles de rénover la peinture d’histoire, en l’abordant sous un angle plus intime.
En témoigne l’un de ses premiers succès dans cette veine, Les Enfants d’Édouard (1830), que le Louvre a bien voulu prêter pour l’exposition londonienne. Suivront d’autres peintures, dont, en 1833, ce Lady Jane Grey qui déchaînera les foules au Salon de 1834, jusqu’à éclipser Le Martyre de saint Symphorien d’Ingres. Propriété du comte Demidoff, l’œuvre passe ensuite entre les mains de plusieurs collectionneurs britanniques avant d’être léguée aux musées anglais en 1902. Suivront un certain nombre de péripéties.
En 1928, alors que le tableau est entreposé dans les réserves de la Tate Gallery, il est endommagé par une forte crue de la Tamise. Irrémédiablement, estiment alors les conservateurs. L’œuvre est radiée des inventaires jusqu’à ce jour de 1973 où un chercheur la redécouvre fortuitement dans les réserves, roulée dans une autre toile.
Depuis, Lady Jane Grey est l’une des œuvres les plus appréciées des visiteurs de la National Gallery. Reste à savoir pourquoi le Louvre n’a pas saisi l’occasion de faire venir cette exposition à Paris et d’offrir la possibilité au public français de redécouvrir l’un des chefs-d’œuvre de la peinture d’histoire du xixe siècle.
1 ANGLOPHILIE - Qui est lady Jane Grey ?
Le Lady Jane Grey est sans aucun doute l’un des meilleurs exemples de la grande peinture d’histoire de Paul Delaroche. En choisissant ce sujet largement méconnu du public français, le peintre a pourtant fait un pari. Lady Jane Grey (1537-1554) a en effet régné très brièvement après la mort de son cousin Édouard VI. Au bout de neuf jours, elle est déchue par les partisans de sa cousine catholique, Marie Tudor, fille de la première femme répudiée par le roi schismatique Henri VIII, fondateur de l’Église anglicane. Jugée pour trahison et enfermée à la Tour de Londres, Jane Grey est décapitée le 12 février 1554.
Pour nourrir son inspiration, Delaroche s’est rendu plusieurs fois en Angleterre, en 1822 et 1827. Ses sources sont nombreuses, de la littérature à la gravure. Ici, Delaroche semble avoir repris une estampe de William Shelton, datée de 1795, dans laquelle une figure féminine recherche de la même manière le billot à tâtons. La critique l’accusera de plagiat.
2 LE RÉALISME - Des personnages identifiables
Soucieux de se démarquer de l’académisme que lui a enseigné Gros dans son atelier, Delaroche s’attache à renouer avec une manière plus réaliste. En témoignent les nombreux détails de son tableau, de la voûte de la Tour de Londres, où prend place la scène, aux costumes historiques.
Tous les personnages sont identifiables par leur caractère individualisé, du bourreau, à l’attitude détachée, qui patiente appuyé sur sa hache, à sir John Brydges, gouverneur de la Tour de Londres, prévenant à l’égard de la victime, en passant par les deux dames de compagnie de la reine, figurées dans une attitude éplorée. Jane, vêtue d’une robe d’un blanc virginal, a fait l’objet de nombreuses études préparatoires. Le même souci de réalisme pousse Delaroche à peindre de la paille fraîche au pied du billot, prêt à recevoir l’effusion de sang...
3 LE THÉÂTRE - La distribution des rôles
Outre sa liaison avec une comédienne, le peintre a entretenu des liens continus avec l’univers théâtral. L’un de ses tableaux les plus connus, Les Enfants d’Édouard, a par ailleurs fait l’objet d’une adaptation au théâtre par Casimir Delavigne. Plusieurs dessins présentés dans le cadre de l’exposition illustrent la manière dont le peintre utilise les notations scénographiques pour préparer la composition de ses tableaux.
Ici les personnages sont figurés sur une grande estrade qui s’apparente à une scène sur laquelle ont pris place les protagonistes. L’actrice principale, qui a les traits de la comédienne Anaïs Aubert – maîtresse du peintre après la mort de sa femme, Louise Vernet (la fille d’Horace Vernet) –, est placée au centre, sa robe blanche irradiant, comme éclairée par les lumières des projecteurs...
4 INSTANT CHOISI - Une mise en scène savamment travaillée
Delaroche choisit de représenter l’instant précédant l’exécution, participant par là même à alimenter le mythe de la mort de Jane en martyre protestante. L’artiste s’est en effet inspiré d’un texte du xvie siècle, considéré aujourd’hui comme un texte de propagande protestante. Sur certaines études préparatoires, le peintre figure quelques annotations qui établissent un parallèle avec le destin de la reine Marie-Antoinette.
Dans plusieurs tableaux, Delaroche manifeste un goût similaire pour ce type de scènes de drame, tirées de l’histoire anglaise ou française : Cromwell devant le cercueil de Charles Ier (Nîmes, musée des Beaux-Arts), Lord Strafford allant au supplice (1835, collection particulière) ou encore Marie-Antoinette devant le tribunal (1851, The Forbes Collection)..., mais aussi de l’histoire chrétienne. Ainsi de la Jeune Martyre chrétienne (1854-1855, musée du Louvre) qui influencera les préraphaélites anglais.
1797 Naissance à Paris.
1818
Entre à l’atelier
du peintre
Antoine-Jean Gros, qu’il quitte 2 ans plus tard.
1822
Premier séjour
à Londres. Expose pour la première fois au Salon,
à Paris.
1832
Élu à l’Académie des beaux-arts. Professeur à l’École des beaux-arts.
1834
L’Exécution de
lady Jane Grey est exposé au Salon.
1841
Réalise les peintures de l’hémicycle
de l’École des beaux-arts.
1845
Mort de sa femme, Louise Vernet.
1856
Mort à Paris.
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L’Exécution de lady Jane Grey par Delaroche
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Abonnez-vous dès 1 €Infos pratiques. « Painting History: Delaroche and Lady Jane Grey », jusqu’au 23 mai. The National Gallery, Londres. Tous les jours, de 10 h à 17 h 15 ; le vendredi jusqu’à 20 h 15. Tarifs : environ 4,50 et 9 €.
Delaroche aux Beaux-Arts. En 1841, Delaroche réalise la décoration de l’hémicycle de la nouvelle École des beaux-arts de Paris. Sur une fresque de 25 mètres, il rassemble d’illustres représentants de l’histoire de l’art : Dürer, Raphaël, Léonard de Vinci, Michel-Ange, etc.
La fresque est aujourd’hui visible uniquement pour les groupes sur rendez-vous. Réservations au 01 42 46 92 02.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°623 du 1 avril 2010, avec le titre suivant : L’Exécution de lady Jane Grey par Delaroche