Des moines peintres, l’histoire de l’art en connaît, notamment en Italie avec Fra Angelico ou Fra Bartolomeo. Mais un moine qui ne peint pas de scènes religieuses pour se consacrer exclusivement au portrait, cela est plus rare. L’essentiel de ce que l’on sait de Vittore Ghislandi dit Fra’Galgario (1655-1743) – du nom du couvent où il crée son atelier – très sollicité à son époque par les grandes familles bergamasques et totalement inconnu aujourd’hui en France, provient du texte de Tassi publié
en 1793 dans ses Vies des artistes de Bergame. Galgario atteint sa maturité artistique tardivement, vers cinquante ans, on ne connaît aucun portrait sûr de l’artiste avant cet âge. Après son long apprentissage à Bergame, il rencontre à Venise Ricci, Tiepolo, Crespi, mais surtout Bombelli, qui lui apporte à la fois une technique et un carnet d’adresses. La luminosité des portraits de Fra’Galgario et l’éclat des couleurs (le rouge velouté du vêtement dans le Portrait de Gian D. Tassi) témoignent de son expérience vénitienne. À Milan, l’artiste s’intéresse aux portraits de Salomon Adler, à la fois peintre traditionnel de l’aristocratie milanaise et personnalité excentrique, comme en témoigne l’Autoportrait au couvre-chef à l’orientale, présenté ici parmi d’autres œuvres de confrontation.
Loin des règles classiques qui régissent le genre, les portraits de Galgario ne sont ni idéalisés, ni critiques, plutôt l’œuvre d’« un psychologue austère qui ausculte ses modèles sans empathie », selon les propos d’Axel Hémery, conservateur au musée des Augustins et commissaire de cette exposition. L’artiste donne à voir une galerie d’aristocrates décadents, d’hommes de pouvoir amers, de vieilles femmes au teint gris, se représente en moine et en peintre (Autoportrait, 1732). Son rapport avec la gent féminine est complexe : pourquoi n’a-t-il peint que des filles vieillissantes, des femmes revêches ou au teint malade ? Pourquoi s’est-il davantage intéressé aux vêtements qu’à l’expression de leurs visages, lui qui se passionne pour la représentation des caractères ?
Selon Tassi, cette réticence à peindre les femmes et cette façon de les représenter avec froideur remonterait à une histoire vécue dans son atelier où un modèle se serait montré trop entreprenant ; là encore, on ne peut se référer qu’au texte du biographe. Ses portraits féminins n’en sont pas moins intéressants. Celui d’Isabella Camozzi de’Gherardi, veuve mystérieuse au regard absent, est saisissant. Issu d’une collection privée – comme la majorité des soixante-dix œuvres présentées – et jamais montré, ce tableau a quelque chose de Vélasquez. Et, comme le fait remarquer Axel Hémery, en se projetant un peu, de Goya et de Manet. Une salle est consacrée à un autre aspect de la carrière de Fra’Galgario, les portraits d’enfants qu’il réalise à partir de 1724. Il y a dans ceux-ci une fraîcheur nouvelle, une idéalisation absente des portraits d’adultes. Les enfants sont peints déguisés en artistes, en prêtres, en collectionneurs, les joues roses et en pleine santé, comme ce Jeune Homme avec un verre de vin qui rappelle le Bacchus du Caravage. Ce sont des œuvres de commande, peintes en série.
L’artiste a le goût de l’expérimentation, excelle dans l’art de la laque, recherche sans cesse de nouvelles techniques, est l’un des premiers à utiliser le bleu de Prusse (Portrait de Carlo Tinti). Davantage artisan que peintre intellectuel, il superpose les matières, peignant parfois avec le doigt pour donner aux visages leur aspect légèrement flouté. Tassi raconte que Galgario aurait gratté un Titien au couteau pour en découvrir les secrets de fabrication. Éternel insatisfait, il retravaille ses tableaux, recouvre, ajoute, repeint – le Portrait de Francesco Maria Bruntino, l’un des plus réussis, a été retouché à plusieurs reprises. On ne connaît aucun dessin de l’artiste, il travaille directement sur la toile et l’on peut relever certaines maladresses dans les proportions, la trace d’une correction, une perruque qui semble ajoutée, posée au sommet d’un crâne dégarni (Portrait du docteur Bernardi). Galgario surprend, n’est pas dans la perfection, ce qui renforce le côté énigmatique de ses portraits. Finalement, et c’est sans doute l’un de ses mérites, cette exposition pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses définitives. Beaucoup reste à découvrir sur Fra’Galgario ; on regrette alors d’autant plus l’absence d’un véritable catalogue pour prolonger cette exposition, la première à lui être consacrée en France.
« Fra’Galgario (1655-1743), peintre de caractères », TOULOUSE (31), musée des Augustins, 21 rue de Metz, tél. 05 61 22 21 82, www.augustins.org, 31 janv.-10 mai, guide de l’exposition, 80 p., 15 euros.
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L’étrange galerie de portraits de Fra’Galgario
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°557 du 1 avril 2004, avec le titre suivant : L’étrange galerie de portraits de Fra’Galgario