L’esprit Royère

Ses intérieurs sont peuplés de canapés « Ours », de sièges « Trèfle », d’appliques « Mille pattes » ou de lits « Starlette ». Quand une riche provinciale l’appelle dans les années 50 pour réaliser le décor de sa chambre à coucher, il lui conçoit un mobilier complet à partir de la forme ovoïde de l’œuf, car la belle possédait un élevage de gallinacés ! Assurément, Jean Royère ne manquait ni d’humour ni de fantaisie. Autodidacte, il aborde son art dans un état d’esprit original. Pour lui, la décoration est une fête quotidienne, étrangère au formalisme, au faste et à la pompe. Après des débuts influencés par l’Art Déco, Royère trouve vite une voie personnelle, et devient l’artisan d’un véritable renouveau de la conception du meuble moderne, proposant un mobilier bien ancré dans son temps, sans référence de valeur au passé. Inspiré par les lignes élégantes de Jacques Émile Ruhlmann, il se détourne des bois précieux de son aîné, leur préférant des matériaux plus simples et inattendus – acier, peau de chèvre, velours pelucheux, marqueterie de paille ponctuée de fleurs séchées... Il tempère les lignes fonctionnalistes trop sèches par des éléments cinétiques et dynamiques ; ici des ondulations sinusoïdales, là des sphères de bois ou de métal « en gravitation » dans un piètement. L’« esprit Royère » séduira en France comme à l’étranger. Chef de file-vedette de l’art décoratif de l’après-guerre, Royère ouvre des agences partout dans le monde, au Caire, à Beyrouth, Lima ou São-Paulo, travaillant pour toutes les têtes couronnées telles le roi Hussein de Jordanie. Dix-huit ans après la disparition du décorateur, et précédant de quelques mois le Musée des Arts décoratifs, la galerie Lacoste lui rend hommage en regroupant tous ses « classiques », de l’écrasant et moelleux canapé « Ours polaire » au fluide luminaire « Liane », aux déhanchements serpentins.