Le Musée Gustave Courbet orchestre une confrontation en apparence paradoxale entre le maître d’Ornans et le maître d’Aix-en-Provence.
ORNANS (DOUBS) - « Certes Courbet et Cézanne s’opposent en bien des points : l’un est rabelaisien quand l’autre est ascétique, l’un est facétieux quand l’autre est sévère ; l’un conquiert femmes et salons, quand l’autre se retire de manière monacale sur sa montagne ; l’un prend des coups politiques quand l‘autre se tient à distance. L’un se voudra violemment anticlérical, l’autre ira prier à Saint-Sauveur à la fin de sa vie… », relate Denis Coutagne, commissaire général de l’exposition qui réunit Gustave Courbet (1819-1877) et Paul Cézanne (1839-1906) à Ornans. Si, en surface, tant de choses les séparent, pourquoi une telle confrontation ? Les deux hommes ont en commun leur « appellation d’origine contrôlée ». Artistes du terroir détestant Paris sans pour autant être des peintres régionalistes, Cézanne et Courbet ont contribué à la modernité esthétique en s’engageant sur un chemin hors norme, dont le tracé repasse sans cesse par le même point d’ancrage : leur terre natale. La Franche-Comté, la falaise de la Brême et la vallée de la Loue pour l’un ; la Provence, les carrières de Bibémus et la Sainte-Victoire pour l’autre. Le bleu, le vert et le gris, la fraîcheur et l’humidité ; le bleu, le rose et l’ocre, la torpeur et l’aridité.
Des chemins parallèles
Selon toute vraisemblance, les deux peintres nés à vingt ans d’intervalle ne se sont jamais rencontrés. Si Cézanne, encouragé par son ami d’enfance Émile Zola, compte Courbet parmi ses modèles, il arrive à Courbet de fréquenter les impressionnistes. Mais observe-t-il vraiment la jeune génération ? Étayée par un sous-texte scientifique traquant toute preuve historique, l’exposition d’Ornans s’évertue avant tout à mettre en évidence la similitude de la démarche philosophique des deux hommes face à la nature. Tandis que les académies qu’ils exècrent modèlent leurs élèves en démiurges, en metteurs en scène, Courbet comme Cézanne aspirent à être des miroirs, des réceptacles capables de transmettre une vision objective de la nature. Le résultat, bien entendu, diffère, mais le chemin parcouru est parallèle. Le plus intéressant est que le tempérament de chacun trouve également un écho sur la toile. La sensualité, la générosité et l’impétuosité chez Courbet, la rigueur analytique, l’économie de moyens et le conservatisme chez Cézanne. Les grands paysages qui constituent le point culminant du parcours de l’exposition (après les autoportraits, les nus, les portraits…) mettent en exergue une vision du monde solitaire et dénuée de toute trace de la vie moderne. Chez Courbet et Cézanne, la révolution picturale se suffit à elle-même. Nul besoin de passer par la représentation de signes extérieurs de l’industrialisation. Forcément sélectif pour respecter la taille réduite des espaces d’exposition temporaires, l’accrochage réunit avec soin des prêts d’une qualité exceptionnelle pour une institution aussi modeste – comptant comme prêteur principal le Musée d’Orsay. Les commissaires concèdent qu’un tableau de la montagne Sainte-Victoire manque cruellement à l’appel – le modèle de prédilection de Cézanne est cependant présente dans une lithographie et une aquarelle. Le catalogue fournit quant à lui les rapprochements irréalisables (Le chêne de Flagey (1864) et le Grand pin près d’Aix (1895-1897) ; Une après-dîner à Ornans (1848-1849) et Les joueurs de cartes (1890-1895)…) et bénéficie de contributions prestigieuses (James H. Rubin, Mary Morton…).
Jusqu’au 14 octobre, Musée Gustave Courbet, place Robert Fernier, 25290 Ornans, tél. : 03 81 86 22 88, www.musee-courbet.fr, tlj sauf mardi 10h-18h. Catalogue, éditions Fage (Lyon), 192 p., 25 €
Commissaire général : Denis Coutagne, Conservateur honoraire du patrimoine, président de la Société Paul Cézanne.
Commissaires scientifiques : Frédérique Thomas-Maurin, conservateur en chef, Julie Delmas, adjointe du conservateur et Élise Bourdon, assistante conservation et services des publics, Musée Gustave Courbet, Ornans ; Xavier Rey, conservateur des peintures au Musée d’Orsay, Paris.
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Les vérités croisées de Courbet et Cézanne
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°396 du 6 septembre 2013, avec le titre suivant : Les vérités croisées de Courbet et Cézanne