Illustration

Les univers hauts en couleur de Mattotti

Par Éléonore Thery · Le Journal des Arts

Le 2 février 2016 - 806 mots

Les Capucins à Landerneau accueillent la première rétrospective de Lorenzo Mattotti, une œuvre protéiforme, mue par un imaginaire débordant et un talent de coloriste.

LANDERNEAU - Du bleu profond au rose poudré, du jaune safran au vert sapin, c’est là par le biais d’une explosion de couleurs portée sur les murs de l’ancien couvent des Capucins de Landerneau, que le visiteur est convié à entrer dans l’œuvre de Lorenzo Mattotti. Michel-Édouard Leclerc, aujourd’hui à la tête d’une des plus importantes collections de bande dessinée en France, a découvert l’Italien à travers ses planches dans les années 1980 et a noué depuis avec lui une grande amitié. Entouré de Lucas Hureau et David Rosenberg, il lui offre aujourd’hui les cimaises du lieu qu’il a installé depuis 2012 dans le berceau des supermarchés familiaux. L’artiste a bénéficié de rétrospectives aux États-Unis ou en Europe, mais c’est la première du genre en France et le fait qu’il ait été estampillé dessinateur de BD pourrait ne pas être étranger au phénomène.

La couleur, son mode narratif
Les 300 œuvres organisées en une vingtaine de chapitres, autant de fenêtres ouvertes sur des univers à part entière, déroulent la carrière foisonnante d’un artiste qui n’a cessé de se renouveler, tant dans les modes d’expression que dans les techniques ou les genres. C’est avec le créateur de bande dessinée que débute le parcours : un espace circulaire plonge le visiteur dans le récit historique de Caboto, négociant et explorateur originaire de la Venise de l’âge d’or. Plus loin, suivent les planches de Feux, une bande dessinée réalisée en 1984, qui a marqué l’histoire du genre et révélé l’artiste au grand public. Cet album aux accents d’Apocalypse Now a été réalisé en couleur directe, un procédé alors peu en vogue : la ligne est totalement abandonnée au profit de la couleur, qui loin d’être illustrative, devient un langage en soi, exprimant toute une palette d’émotions. Le dessinateur de couvertures de magazines est aussi à l’honneur : dans les années 1990, Mattotti travaille pour la revue de mode Vanity, ou pour le New Yorker et livre des personnages qui empruntent autant à l’expressionnisme allemand qu’à Fellini. C’est l’affichiste que découvre encore le visiteur au travers de divers projets pour le monde de la musique. Son basculement vers la peinture est également dévoilé : tout part d’une sensation ressentie un matin alors que Mattotti s’assied sur son lit pour faire ses lacets : la sensation du poids de l’ordinaire. D’une variation en couleur sur cette scène, naît finalement un tableau. Il est le premier de nombreuses séries, ainsi de celle consacrée des années plus tard aux paysages de Patagonie ou aux couples d’amoureux de Nell’aqua, en apesanteur dans le bleu lumineux et apaisant d’une mer d’huile.

La ligne fragile

Le visiteur est encore convié à explorer son travail au service de grands textes de la littérature, au-delà de la simple illustration. Ainsi d’un Docteur Jekyll et Mister Hyde dont l’intrigue a été déplacée dans la République de Weimar et dont les couleurs violentes et les visages, à la limite du masque, rendent hommage à Fritz Lang ou Otto Dix. On retrouve cette ambiance sombre dans la collaboration de l’artiste avec Lou Reed autour des textes d’Edgar Allan Poe. Quant aux textes de Freud, ils se voient mis en image par le biais de compositions exubérantes, dans un registre flirtant avec l’illustration jeunesse. Si Mattotti est souvent présenté comme un coloriste hors pair (on note sa matière picturale, réalisée en passant et repassant sur une même zone, au crayon de couleur, puis au pastel), sa maîtrise de la ligne et du noir et blanc est pourtant frappante. Celle qu’il appelle la « ligne fragile » court d’abord sur des carnets, mue par une imagination débordante et une précision sans faille. Cette ligne en liberté mènera aux saisissants théâtres d’ombres d’Hansel et Gretel ou d’Oltremai, réalisés au pinceau et à l’encre de Chine. Ce que révèle l’exposition, c’est la capacité de Mattotti à créer des mondes en puisant dans un imaginaire sans fond, à donner vie à ses émotions, violentes ou douces, sombres ou lumineuses, en les couchant sur papier. Quant à la clé de cette étonnante faculté à naviguer d’un genre, d’un domaine ou d’une technique à l’autre, peut-être réside-t-elle dans le fait que Mattotti n’a cessé de se voir comme un artisan. « C’est un mot aujourd’hui que les artistes évitent d’utiliser, mais moi c’est un mot qui me va (…) j’ai toujours voulu être d’abord un bon technicien », explique-t-il dans le catalogue de l’exposition. Qui voudrait poursuivre le voyage dans l’œuvre de l’artiste transalpin pourra également consulter les deux ouvrages de 350 pages, l’un consacré à ses dessins et peintures, l’autre à ses livres, qui inaugurent le catalogue de la maison d’édition lancée par le même Michel-Édouard Leclerc début janvier.

Mattoti

Commissaire : David Rosenberg

Lorenzo Mattotti

Jusqu’au 6 mars, Fonds Hélène & Édouard Leclerc, Rue des Capucins, 29800 Landerneau, tel. 02 29 62 47 78, tlj 10h-18h, entrée 6 €, www.fonds-culturel-leclerc.fr

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°450 du 5 février 2016, avec le titre suivant : Les univers hauts en couleur de Mattotti

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