L’empire financier et la passion de collectionneur de la famille Rothschild ont déjà été étudiés, mais personne n’avait encore entrepris une analyse approfondie du milieu dont cette dynastie de banquiers est issue, les juifs de cour. C’est chose faite aujourd’hui, grâce à l’exposition que présente le Jewish Museum de New York.
NEW YORK (de notre correspondant) - "Des juifs de cour aux Rothschild : art, mécénat et pouvoir 1600-1800" rassemble deux cent soixante-quinze pièces – objets d’art, peintures, œuvres sur papier, costumes, livres, manuscrits enluminés… – illustrant la vie de ces juifs de cour (Hofjuden), financiers, pourvoyeurs d’armes, marchands d’art ou joailliers au service des monarques germaniques. L’exposition montre aussi comment cette culture de cour a influencé la communauté juive dans son ensemble, bien que celle-ci fût à l’époque confinée dans des ghettos, dont les portes restaient closes la nuit, le dimanche et lors des fêtes chrétiennes.
En dépit de ces obstacles, certains juifs sont parvenus à des postes importants dans une cour par ailleurs antisémite. Ils ne se sont pas contentés d’offrir à leurs souverains de somptueux présents, ils ont également rivalisé avec eux de diverses manières : en construisant leurs propres musées (Kunstkammern) baroques, en commanditant des portraits dignes des rois, en construisant et meublant de somptueux palais et synagogues, en subventionnant l’édition de riches ouvrages et de manuscrits enluminés…
Parmi les objets notables exposés, une amulette en argent ornée d’une agate gravée d’une menorah et d’une dédicace à l’empereur en hébreu, entourée de douze pierres semi-précieuses, réalisée vers 1600 par un artiste juif pour être offerte au nom de sa communauté à Rudolf II de Prague. Mais plus généralement, les présents étaient achetés plutôt que commandés, comme ce surtout de table en argent en forme de bateau, offert par Veitel David au landgrave de Hesse-Kassel en 1780. En 1992, la veuve de l’historien de l’art Rudolf Wittkower – descendant d’une famille de Hofjuden de Berlin, les Ephraim – a fait don au Jewish Museum d’une série de portraits datant de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle, qui sont présentés au sein de l’exposition.
La "conspiration juive"
Parfait exemple de l’intégration des juifs de cour, les Rothschild symbolisent également le passage de l’Ancien régime à la bourgeoisie. Outre la présentation d’un ensemble d’œuvres données à des musées par les membres de cette dynastie de banquiers, la dernière partie de l’exposition retrace l’historique de son empire financier, dont le patriarche Meyer Amschel, né en 1743 à Francfort, est à l’origine. Après les guerres napoléoniennes, ses cinq fils – directeurs des branches de Francfort, Vienne, Londres, Naples et Paris – négocièrent de nombreux prêts avec les gouvernements pour financer la reconstruction de l’Europe. Les cinq frères furent anoblis en 1816, et faits barons en 1822 par l’Empereur d’Autriche. Presque toutes les œuvres d’art importantes négociées au XIXe siècle leur auraient appartenu à un moment ou un autre, ou leur auraient été proposées. Au point que le succès des entreprises internationales de la famille fit d’eux "l’incarnation de cette chimère moderne : la conspiration juive", comme le soulignent les commissaires Vivian Mann, Morris et Eva Feld et Richard Cohen.
DES JUIFS DE COUR AUX ROTHSCHILD : ART, MÉCÉNAT ET POUVOIR 1600-1800, jusqu’au 19 janvier, Jewish Museum, New York, tlj sauf vendredi et samedi 11h-17h45, mardi jusqu’à 21h. Catalogue coédité par le Jewish Museum et Prestel.
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Les Rothschild côté cour
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°29 du 1 octobre 1996, avec le titre suivant : Les Rothschild côté cour