Les résonances de l’image

L'ŒIL

Le 1 décembre 2004 - 601 mots

C’est du son au sens le plus étendu qu’il s’agit dans cette exposition, de la musique au bruit en passant par la parole. « Sons et lumières » se propose donc de revisiter les liens entre le visuel et le sonore selon des acceptions très larges qui, étalées sur un siècle, connaissent d’innombrables nuances et des exploitations très différentes. Le grand mérite de cette exposition est justement d’en éluder aucune et, devant une telle foule d’œuvres ou de documents présentés, déplorer quelques oublis relève de la mauvaise foi. En revanche, on peut regretter cette structure un peu figée des trois étapes (« Correspondances », « Empreintes » et « Ruptures ») qui, tout en caractérisant habilement des directions esthétiques, sont bien incapables de donner une vision diachronique claire.
Pourtant, ce n’est pas faute d’inscrire le rapport son/lumière dans l’histoire. À cet égard, on peut distinguer deux grands desseins antinomiques : le premier, rebattu à l’envi, est celui d’un renouvellement de l’Histoire par le bouleversement socio-esthétique : les recherches du futurisme (« il faut rompre à tout prix ce cercle restreint de sons purs et conquérir la variété infinie des sons-bruits ») dans les années 1910 ou de Fluxus, cinq décennies plus tard, en sont de puissants exemples. Le second dessein tend au contraire à inventer une nouvelle temporalité en marge de l’Histoire. C’est exactement le cas de l’« environnement » de La Monte Young et Marian Zazeela, la Dream House (1962-1990) qui prétend exister tel un « organisme doté d’une vie et d’une histoire propres » où le visiteur se fond dans un monde onirique qui décline des luminosités violettes sur un fond de bourdonnement avec, au sol, une douce moquette. Mais c’est plus largement le cas de toutes les installations qui jalonnent le parcours : distorsions et répétitions temporelles avec le Maillage (1978-1979) de Gary Hill, temporalité cyclique par la symbiose son/image avec l’optophone (1999-2004) de Peter Keene, suspension acoustico-temporelle avec les Nœuds de couloir (1972-2004) de Bill Viola. Des univers autonomes, donc, comme il y a aux origines de l’abstraction la recherche d’une forme autonome et, au bout du compte, des œuvres qui ne se regardent pas. Au centre de « Sons et lumières », il y a ainsi la Dream Machine (qui faillit donner son titre général à l’exposition) de Brion Gysin. Conçue en 1962, cette « machine à flicker [clignotement] » fonctionne avec une ampoule entourée d’un cylindre troué par endroits qui tourne sur lui-même et permet, selon son auteur, de « voir les yeux fermés la totalité de l’art abstrait, ancien et moderne ». De même que la musique nous arrache au contexte environnant et nous invite, par ses variations, à faire de notre intériorité un monde nouveau, la Dream Machine nous exhorte à fermer les yeux, à nous replier sur d’infimes variations lumineuses pour aller vers l’expérience mystique afin de « devenir quelque chose de plus qu’un homme », dixit Brion Gysin. Ce genre de problématiques cohabitent dans l’exposition avec des enjeux plus communs, comme l’influence de la musique sur la création plastique (Georgia O’Keefe) ou les liens entre le jazz en tant que chaos organisé et l’émancipation des formes (Mondrian, Stuart Davis, Jackson Pollock). L’articulation de l’ensemble n’est pas toujours évidente mais bénéficie d’un excellent catalogue agrémenté d’éclairants articles transversaux en préambule. Très riche, courageuse, alternant des œuvres bien connues ou plus obscures, « Sons et lumières » est pas seulement une exposition pour le visiteur, c’est une expérience.

« Sons et Lumières », PARIS, Centre Georges Pompidou, place Georges Pompidou, IVe, tél. 01 44 78 12 33, 22 septembre-3 janvier 2005. Cat. 39,90 euros.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°564 du 1 décembre 2004, avec le titre suivant : Les résonances de l’image

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