Depuis le début des années 1990, ses élucubrations de nourriture, de produits organiques, biologiques et ses déformations de matériaux alimentaires, n’en finissent pas d’étonner.
Au menu aujourd’hui : salade d’avocats et vermicelles de soja, farandole de purées de betteraves, pommes de terre et carottes accompagnées de sa rose de bacon et, pour le dessert, assortiment de deux parfums de Danette : caramel et chocolat. Non, il ne s’agit pas du menu de la cantine du Palais de Tokyo, mais bien du repas type d’une exposition de Michel Blazy, quadra timide et valeur sûre de l’art français.
Cuisine interne
Pour Post Patman II, l’artiste a fait fort. On n’avait pas vu pareil déploiement depuis bien longtemps et surtout pas à Paris. Les dernières fois, il avait fallu se rendre à Albi (Cimaise & Portique en 2002), à Oiron (2003) ou hors de nos frontières pour admirer ses dons. Il faut dire que l’art de Michel Blazy est loin d’être une partie de plaisir pour les institutions.
La recette semble simple sur le papier, qui fait d’ailleurs office de protocole de mise en œuvre, à la manière des artistes conceptuels dont les instructions de réalisation sont méticuleusement rédigées. Unique matériau de Poil de carotte ?, de la purée de carotte et des flocons de pommes de terre déshydratés. Peau de bête, réalisée en coton et crème dessert goût chocolat, quant à elle, fait partie de la collection du Nouveau Musée national de Monaco.
Ver dur existe en deux versions, respectivement composées de croquettes pour chat et pour chien. Question de goût sans doute ! Ensuite, de la patience, beaucoup d’amour et d’humidité, l’œuvre prend place et le temps fait son œuvre. Il dégrade méticuleusement le monochrome orange qui se met à composer de gracieuses pelures, dignes d’une salle de bains terriblement humide. Le lac de purée déshydratée affiche petit à petit des flaques d’eau qui forment autant de constellations colorées des plus gracieuses, tandis que de grosses poubelles vertes vomissent tranquillement des gerbes élégantes de mousse blanche.
Michel Blazy est un magicien, un prestidigitateur de la crème dessert et de la purée de légumes. Qu’il scénographie ou filme ces petites mutations, on se retrouve transporté dans un univers parallèle, un monde tout aussi répugnant que fascinant.
Exposition sans faim
Évidemment, les sensations peuvent être fortes suivant les configurations, les spores volatiles peu ragoûtantes, l’odeur prégnante et piquante, mais qu’importe, la poésie ressort triomphante de l’expérience. Avec une pincée d’anticipation en plus pour cet artiste dont l’esprit doit moins à dame Nature qu’à l’univers de la science-fiction. Les formes minimales et primitives mises en place par ses soins finissent toujours par muter au fil d’un scénario catastrophe, parfois imprévisible. Au bord de la démonstration scientifique ou de l’expérimentation enfantine, Michel Blazy reste sur le fil esthétique, dans une sorte d’attente ralentie qui n’appartient qu’à lui.
En visitant cette longue enfilade courbe du Palais de Tokyo qui accueille ses petits théâtres horrifiques, on ne peut s’empêcher de penser à l’une des icônes de l’Arte Povera conservée au Centre Georges Pompidou. Soit la relation contre nature d’un bloc de granit rose et d’une salade, l’œuvre sans titre de Giovanni Anselmo, est sous-titrée La structure qui mange (1968). Une œuvre dont la chute est inéluctable, le temps de cette œuvre amenant à rompre l’équilibre précaire qui lie, avec une ficelle, un petit bloc de granit à son tronc principal par l’entremise d’une laitue fraîche. Évidemment, au fur et à mesure que la denrée se flétrit, l’œuvre s’affaisse.
Avec Michel Blazy, l’effet est plutôt dans la dilatation, l’augmentation, la prolifération inquiétante. Jusqu’à sa disparition inéluctable lorsqu’il faudra fermer l’exposition et que les œuvres retourneront exister sur le papier. En attendant cette issue fatale, la visite de Post Patman II (du doux nom de l’être aux « cheveux » de vermicelles) doit plutôt se concevoir sur le mode du rendez-vous. Car il faut voir grandir et pousser avec vigueur ces petits êtres issus du mariage improbable d’une pomme de terre et d’une betterave, d’une crème dessert et d’un canapé. Il faudra être patient mais le résultat est hallucinant.
À l’instar de ce cercle de coton blanc, assemblage gracile de fibres qui forme le moment exact où la goutte de lait ressort de la surface avec la vitesse, pour former un petit aiguillon érectile. Blazy est décidément maître du temps en parvenant à reproduire ce macro-moment avec ses petits rien. Qu’il donne vie à ses microcosmes mutants aux matériaux si inoffensifs ou qu’il sculpte comme personne les rouleaux de papier aluminium en des tableaux abstraits dignes de John Armleder, Michel Blazy est bien un alchimiste.
1966 Michel Blazy naît à Monte-Carlo. 1988 École d’art de la Villa Arson à Nice. 1992 Première expo personnelle, L’Escargorium 1, à la galerie Art Concept à Nice. 1997 Pour La Vie des choses au MAMVP, l’artiste fait pousser pois chiches, radis, pommes de terre… 2004 Représente la création française lors d’un festival à Shanghai. 2006 Il vit et travaille sur l’île Saint-Denis, en banlieue parisienne.
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Les recettes du professeur Michel Blazy
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°590 du 1 avril 2007, avec le titre suivant : Les recettes du professeur Michel Blazy