Les collections du Musée Langlois, conservées dans les réserves du Musée des beaux-arts de Caen, sont montrées à la bibliothèque Marmottan de Boulogne-Billancourt. Un des artistes les plus populaires du XIXe siècle, élève de Gros et de Girodet, ami de Delacroix, sort de l’oubli et s’impose en force comme l’inventeur méconnu d’un art total.
BOULOGNE-BILLANCOURT - Un matin d’avril 1850, Flaubert et Maxime Du Camp arrivent à Louxor. Sur le Nil, une cange bat pavillon français. Ils se présentent : Jean-Charles Langlois les a devancés. Du Camp raconte dans ses Souvenirs son admiration pour l’artiste qui, “le premier, transporta le spectateur au centre même de l’action”. Le photographe Du Camp signale aussi que Langlois utilise une “chambre claire”. Dans le panorama de Karnak exposé à Marmottan, d’une incroyable modernité, c’est cette précision quasi photographique qui frappe devant le choc des blocs de pierre renversés sur lesquels jouent les ombres et les lumières.
De l’ombre à la lumière : c’est aussi la sensation qui saisit à la gorge les visiteurs des grands “panoramas” circulaires du XIXe siècle, ceux qui revivent la mêlée de la bataille des Pyramides, regardent le soleil se lever sur les ruines de la salle hypostyle de Karnak. Ils admirent, saisis de terreur et de pitié, l’incendie de Moscou crépitant dans la nuit et, s’ils se retournent, l’aurore qui éclaire les ruines fumantes d’où vient de fuir Napoléon. Les vétérans s’extasient : “Ici, j’ai perdu ma jambe.” Le spectacle change souvent. Langlois peint les bateaux de Navarin, la prise d’Alger, la Moskova, Sébastopol et Solferino. Un million de visiteurs, au fil des années, défilent devant ses œuvres. Quel artiste du XIXe siècle peut en dire autant ? Langlois crée l’illusion du mouvement, de l’espace, du bruit et de la poussière, le premier spectacle total. Il préfigure le cinéma d’Abel Gance. Ses œuvres qui mélangent peintures, objets réels placés dans l’espace des premiers plans et jeux de lumière sont les premières “installations”.
Démontées, roulées, moisies et perdues
De la lumière à l’ombre : c’est le destin du créateur de ces panoramas qui attiraient toute la France dans la rotonde, construite par Hittorff, sur les Champs-Élysées. De ce grand spectacle du XIXe siècle, il ne resta rien, une fois les toiles démontées, roulées, moisies et perdues. Oublié, Jean-Charles Langlois, colonel peintre, polytechnicien artiste, bohème à Légion d’honneur, qui avait combattu à Wagram et posé pour Géricault, avant d’être l’ami de Delacroix et l’élève de Girodet. Représenté dans le tableau que fit Horace Vernet de son atelier, adulé en son temps comme un génial inventeur, il resurgit aujourd’hui, grâce à la ténacité du directeur de la bibliothèque Paul-Marmottan de Boulogne, Bruno Foucart, et du conservateur du Musée des beaux-arts de Caen, Alain Tapié, qui a fait restaurer les œuvres du “Musée Langlois”. Roger Langlois, professeur de lettres à Caen, conserve encore aujourd’hui le souvenir de ce “vieux fou qui avait déshérité toute la famille”. Pour les autres Caennais, le musée Langlois, ouvert en 1888, c’est à peine un nom sur un superbe bâtiment du XVIIIe siècle, occupé par l’orchestre symphonique de Basse-Normandie. Les œuvres dorment au château, dans les réserves du Musée des beaux-arts. Après l’exposition, il sera sans doute difficile de les y remiser à nouveau.
À Marmottan, la redécouverte est en effet stupéfiante. Le spectacle des panoramas de Langlois, dont l’exposition montre des “réductions” de sa main, qui occupent tout de même des murs entiers, reste, comme l’écrivait Théophile Gautier, “étrange et formidable” – mais pour de nouvelles raisons. Tantôt c’est le souvenir de Gros qui anime un coin de la Bataille d’Eylau, tantôt, devant les masures égyptiennes de la Bataille des Pyramides, on voit, en superposition, les paysages réalistes, on pense à L’Incendie de Courbet. Devant la pyramide de flammes qui s’élève au-dessus de la mer, on ose même songer aux compositions cosmiques de Turner. Langlois l’oublié a capté son siècle. Ses panoramas sont passionnants parce qu’ils montrent toute l’époque en perspective cavalière.
De même que la peinture du XVIIe siècle ne se comprend plus aujourd’hui sans ses grands formats – le Louvre a déroulé Les Batailles d’Alexandre de Le Brun – de même l’histoire de la peinture française du XIXe siècle ne serait pas complète sans ces panoramas lumineux et fascinants, peints par ce voyageur célèbre qui rencontra en Égypte un obscur voyageur nommé Flaubert – un Flaubert qui n’avait pas encore fait revivre, dans Salammbô, le panorama de Mégara, faubourg de Carthage et des jardins d’Hamilcar...
- Un peintre de l’épopée napoléonienne. Le colonel Langlois 1789-1870. Bibliothèque Paul-Marmottan, Boulogne-Billancourt, jusqu’au 24 février 2001. Catalogue par Bruno Foucart, Alain Tapié François Robichon et al., éditions Bernard Giovanangelli, 80 p., 150 F, ISBN : 2-909034-22-4.
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Les panoramas du colonel
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°115 du 17 novembre 2000, avec le titre suivant : Les panoramas du colonel