La Maison de la culture du Japon présente de rares œuvres graphiques japonaises d’art populaire. Une production redécouverte au XXe siècle par des artistes de l’avant-garde catalane, séduits par leur liberté et leur primitivisme.
Paris. Si les estampes japonaises ukiyo-e de l’ère d’Edo (1600-1868) sont bien connues, il n’en est pas de même des peintures populaires ôtsu-e de la même époque. Pour faire comprendre ce qu’était cet art, l’exposition s’ouvre sur la reproduction d’une illustration issue de l’Album des sites célèbres de la route du Tokaido (1797) qui est présenté dans une vitrine. Dans une échoppe, des vendeurs proposent des peintures à des voyageurs, tandis qu’un imagier travaille derrière eux. La scène est à Oiwake, l’un des villages proches de la ville d’Ôtsu dans lesquels étaient produites à la chaîne ces images bon marché. Papier de mauvaise qualité, encres dont la couleur passait très vite, élaboration simpliste combinant pochoirs, tampons et traits de pinceau : les ôtsu-e ne prétendaient pas passer pour des œuvres d’art. Il n’en subsiste que quelques centaines d’exemplaires sur une production pléthorique. Selon le commissaire de l’exposition, Christophe Marquet, directeur de l’école française d’Extrême-Orient, « elles ont été redécouvertes au début du XXe siècle par quelques précurseurs qui se sont intéressés à l’art populaire. C’est ce qu’on appelle le mouvement mingei. C’est un type d’art encore quasiment inconnu en dehors du Japon et même la plupart des Japonais n’ont aucune idée précise de ce dont il s’agit. »
La route du Tôkaidô, reliant Kyoto à Edo (Tokyo), était la principale voie du pays et les voyageurs y trouvaient des boutiques où acheter de quoi se restaurer et de menus souvenirs qu’ils rapportaient à leur famille. C’est le cas des premières images, à thème bouddhique, qui datent probablement du deuxième quart du XVIIe siècle. Elles sont exposées dans la première salle et comportent un exemplaire unique d’une image de Bodhidarma, datant du dernier tiers du XVIIe siècle. Elles y voisinent avec des images de démons, non plus religieuses, mais magiques : placées dans les chambres des enfants, elles les protégeaient des épidémies et des accidents. Dès le XVIIe siècle apparaît l’aspect humoristique de cet art populaire, que l’on retrouve tout au long de l’exposition, où les images sont montrées par thèmes. On y voit une autre œuvre unique, Le Génie des montagnes et le guerrier Ushiwakamaru (première moitié du XVIIIe siècle), sauvée au début du XXe siècle par Yanagi Muneyoshi, philosophe fondateur du mouvement de défense des arts populaires (mingei).
À cette époque, des peintres japonais présents en France ont certainement partagé avec des artistes occidentaux leur goût des ôtsu-e. Quelques petites expositions furent organisées, dont celle qui, en 1950, en montrait dix à Barcelone. Elle était organisée par Eudald Serra, ami de Joan Miró, qu’il initia à cet art. La dernière salle évoque cette période et présente un ôtsu-e ayant appartenu à Picasso, Banquet du chat et de la souris, acheté sans doute en 1934 et qui le suivit dans ses différents ateliers. Ricard Bru, professeur à l’Université Barcelone, étudie dans le catalogue ces contacts des artistes espagnols du XXe siècle avec l’art populaire japonais.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°524 du 24 mai 2019, avec le titre suivant : Les ôtsu-e du Tôkaidô, des peintures sorties de l’oubli