À la fascination exercée par la \"réclame\" sur certains artistes correspond une relative réticence des musées pour la création publicitaire, alors que tous les secteurs de la vie économique, sociale, et même l’humanitaire, y ont succombé.
Si la plupart des musées achètent des espaces publicitaires, peu s’adressent à des agences et à leurs créatifs. "La communication doit être reconnue comme un métier à part entière – comme ceux de la conservation – dans les institutions culturelles", estime Jean-Pierre Biron, directeur de la communication du Centre Pompidou. Celui-ci avait lancé, en 1994, une consultation auprès d’agences pour "accompagner" la communication du Centre durant son chantier de rénovation. Auparavant, sous la forme d’un partenariat avec l’agence FCB, Beaubourg avait développé une réflexion sur la "synergie entre l’événementiel et l’institutionnel". "Le Centre, ce n’est pas que l’exposition Francis Bacon, c’est aussi une bibliothèque, un musée…", ajoute Jean-Pierre Biron. Pour lui, citant l’exemple d’Havas associé à l’exposition "Brancusi", travailler en partenariat avec un "véritable professionnel, ayant besoin d’un retour d’image", modifie radicalement l’efficacité d’un message.
Le Jeu de Paume a bénéficié, de 1991 à 1994, de campagnes offertes par l’UAP. La finalité était double pour l’assureur : légitimer son action de mécénat et asseoir la notoriété de cette jeune institution. Agence fidèle de l’UAP, BDDP a conçu des campagnes "clins d’œil", comme "Le seul musée où on installe des bancs pour contempler une chaise", slogan associé à une œuvre de Tapiès.
Plus récemment, le Louvre décidait de recourir à la publicité, jugeant le lancement du "dimanche gratuit" particulièrement opportun à une première expérience, et lançait un appel d’offres pour la conception de l’affiche. Si l’agence Alice utilisait une fois de plus le sourire fatigué de la Joconde, Jean-Pierre Merlet, directeur de la création chez Young & Rubicam Nantes, écartait d‘emblée les œuvres célèbres, estimant "qu’elles avaient déjà subi les derniers outrages de la communication et de la publicité". Il choisissait pour visuel un détail d’une fresque de Botticelli, avec pour slogan"Ce qui n’a pas de prix est gratuit". Le projet fut retenu et 50 000 francs d’honoraires versés par le Louvre.
Avec "Un siècle de sculpture anglaise", le Jeu de Paume souhaitait rendre populaire une exposition collective de sculpture, et d’art anglais de surcroît. L’afficheur Dauphin, déjà mécène pour "Sam Francis", a prêté mille panneaux 4 x 3 pendant une semaine (valeur 1,2 million de francs).
L’UAP a confié à BDDP la conception de la campagne, le Jeu de Paume finançant l’impression des affiches (70 000 F). Le résultat publicitaire a suscité des réactions parfois critiques, mais le bilan est jugé positif par le musée, qui estime avoir "gagné un public plus jeune". Plus de 30 % des 60 470 visiteurs auraient été touchés de façon décisive par le message publicitaire, la presse conservant le meilleur impact. La publicité télévisée restera longtemps inaccessible aux musées en raison de son coût. Certes, Beaubourg a réalisé un spot sur l’exposition "La Ville", diffusé sur Paris-Première, mais la grande référence demeure l’exposition "Barnes", pour laquelle les mécènes BNP et Havas ont commandé à Euro RSCG une série de 45 "spots", diffusés gracieusement par France Télévision aux heures de grande écoute.
En fait, les musées combinent avec habileté mécénat et communication, de façon à faire l’économie de la publicité, souvent jugée superflue. À la Réunion des musées nationaux , les campagnes de communication sont conçues de façon interne, sans aucune aide extérieure. Pourtant, les enjeux ne sont pas minces. Pour communiquer sur une exposition comme "Cézanne", un million de francs (soit 5 % du budget de 22 millions de francs) ont été nécessaires. Plus modeste, Paris-Musées consacre au mieux 200 000 francs d’affichage sur le réseau "Métrobus" à ses manifestations du Musée d’art moderne, du Petit Palais ou de Galliéra.
La RMN reste fidèle aux mâts des avenues de Paris1 qui, pour quelque 100 000 francs annuels l’unité, offrent un impact puissant et font percevoir l’événement comme immédiatement culturel. Nettement plus chère, l’affiche 4 x 3 dans le métro parisien nécessite un visuel horizontal et assez racoleur, comme celui d’"Égyptomania". Il en va de même pour les "flancs de bus", où le visuel doit s’accommoder du format horizontal. Une semaine durant, "Les origines de l’Impressionnisme" avait habillé les flancs de mille autobus franciliens (valeur 300 000 francs). Ultime détail, ne jamais oublier le bandeau à coller sur la dernière vague d’affiches ; il remobilisera la fréquentation. "Derniers jours" !
À l’instar de leurs homologues parisiens, les musées de province profitent du mécénat des entreprises (la banque Sogenal a offert cet été une campagne de communication aux Musées de Strasbourg) et, avant tout, des équipements publics. Si une municipalité met à disposition ses espaces d’affichage, son adjoint à la Culture peut être tenté d’intervenir dans le choix du visuel et du titre. "Il faut beaucoup de diplomatie, reconnaît Sylvie Poujade, responsable de l’Unité-partenaire de la RMN, pour remettre en cause un projet décidé par les élus ou même par les conservateurs". Elle estime souhaitable que les écoles régionales des beaux-arts soient sollicitées, comme à Belfort ou à Rouen (pour "Les cathédrales de Monet"), pour imaginer en toute liberté les supports de communication.
L’accès à la publicité demeure onéreux mais, surtout, "ce n’est pas dans les mœurs", reconnaît Christophe Monin, directeur de la communication du Louvre. "Très souvent, le discours culturel exclut, en sacralisant le produit, estime Jean-Pierre Merlet. Les musées français devraient adopter, dans leur communication, un ton plus généreux". Directeur de la création chez Bariolé, Bruno Le Scoarnec situe "les réticences du côté des musées : à son ouverture, en 1986, le Musée d’Orsay avait organisé un concours d’affiches et reçu près de deux mille projets. Aucun ne fut édité". Ils dorment depuis dans des cartons aux Archives de France.
1. La RMN en possède en propre 37, dont elle a gardé la jouissance quand les autres ont été concédés à la société Decaux. La Ville de Paris en a conservé 45, dont quelques-uns profitent à Paris-Musées.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les musées et la pub
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°30 du 1 novembre 1996, avec le titre suivant : Les musées et la pub