La Maison de Balzac plonge le visiteur dans les grandes heures du carnaval de Paris et convie à la fête les plus belles plumes de l’époque.
PARIS - Difficile à croire aujourd’hui, mais la ville du carnaval ne fut pas toujours Venise, et encore moins Rio. Au XIXe siècle, en pleine monarchie de Juillet, c’est à Paris que bourgeois, ouvriers et étudiants se mêlent dans les cortèges et les soirées. Durant ce mois et demi de festivités, de l’Épiphanie au mercredi des cendres, toutes les barrières sociales tombent. Au bal de l’Opéra – réquisitionné deux fois par semaine pour l’occasion –, l’avocat danse avec la « grisette » et l’aristocrate avec l’ouvrier. Exutoire nécessaire à une société bridée le reste du temps, le carnaval bat son plein durant une trentaine d’années, sous les yeux des dessinateurs et auteurs de l’époque. « Chacun sait que depuis 1830 le carnaval a pris à Paris un développement prodigieux qui le rend européen et bien autrement burlesque que le feu carnaval de Venise », écrit ainsi Balzac en 1842 dans son roman La Fausse Maîtresse. L’événement ne survivra guère à l’auteur, s’éteignant comme lui peu après la fin du règne de Louis-Philippe. Ses grandes heures laissent cependant une empreinte durable dans la production littéraire et artistique du temps, des témoignages souvent savoureux auxquels est dédiée la dernière exposition de la Maison de Balzac.
« L’ambition n’était pas de retracer l’histoire du carnaval », explique Yves Gagneux, directeur du musée et commissaire de l’exposition, « nos espaces sont de toute façon trop exigus pour cela. » La soixantaine d’œuvres présentées tient en effet dans les trois petites salles du deuxième niveau de la maison. Le visiteur les arpente sans réel parcours imposé, comme il feuilletterait un bel album. De modeste envergure mais divertissante, la courte exposition invite à découvrir les impressions des artistes, leurs interprétations et leurs différents points de vue sur le carnaval. En regard des œuvres de Gavarni, d’Honoré Daumier, ou de Benjamin Roubaud, des citations d’écrivains et de journalistes commentent ce festival de tous les excès. Fait social lorsqu’il est décrit par Balzac, le carnaval prend une dimension mythique sous la plume de Gauthier, tandis que les frères Goncourt l’analysent via le prisme des dessinateurs. Une variété de regards qui n’a d’égale que la diversité des gravures et des aquarelles, toutes issues des collections du musée. « L’un des buts était également d’exposer notre fonds, extrêmement riche et malheureusement trop méconnu », continue le commissaire.
Galerie de costumes
Les œuvres de Gavarni surtout, accrochent le regard. Son pinceau habile et moqueur ressuscite les figures incontournables de ce carnaval oublié : les pierrots bien sûr, fort désappointés face à une affiche annonçant un « Bal non travesti », mais également les troubadours, les arlequins ou encore les débardeurs. Ces ouvriers, chargés d’acheminer le bois de chauffage jusqu’à Paris, portent un costume très simple – chemise et large pantalon – qui fournit aux demoiselles les plus audacieuses un excellent prétexte pour se débarrasser de la jupe obligatoire. Rien de plus pratique qu’un pantalon pour danser librement le cancan, la polka et la cachucha. Car les farandoles sont parfois endiablées, comme le montre le savoureux Galop infernal de Théodore Maurisset. Croquées par Gavarni, ces garçonnes sont toujours belles, leurs courbes magnifiées par l’habit indécent. Pour les demoiselles plus aisées, l’artiste invente également de nombreux modèles de costumes plus chics, à faire reproduire par sa couturière. Outre le déguisement et la danse, le carnaval célèbre également la bonne chère, et surtout le bon vin, que l’on boit hors de Paris pour éviter les taxes. L’exposition illustre aussi ce thème du souper, pris, selon les moyens de chacun, dans une chambre d’étudiant ou chez Véry. Incontournable du carnaval, c’est alors le moment de tomber les masques, de découvrir qui se cache réellement derrière cette charmante figure de pierrot… Au risque d’être cruellement déçu, mais pour le plus grand amusement du visiteur.
Jusqu’au 17 février 2013. Maison de Balzac, 47 rue Raynouard, 75016 Paris. Tel. 01 55 74 41 80, www.balzac.paris.fr, tlj sauf le lundi 10h-18h.
Ouvrage publié à l’occasion : Le Carnaval à Paris, éditions Paris Musées, 72, p. 12
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Les mascarades parisiennes
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Abonnez-vous dès 1 €Commissariat : Yves Gagneux, conservateur en chef du patrimoine et directeur de la Maison de Balzac
Nombre d’œuvres : une soixantaine
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°384 du 1 février 2013, avec le titre suivant : Les mascarades parisiennes