LE HAVRE
Entre 1870 et 1914, le développement de l’éclairage urbain a inspiré peintres et photographes, ainsi que l’expose le MuMa.
Le Havre (Seine-Maritime). Lorsqu’ils sont passés aux ampoules électriques à basse consommation, nos contemporains ont parfois découvert avec effroi que leur salon recevait désormais un éclairage de morgue. Le public a ainsi appris la notion de « température de couleur » avant d’en devenir expert. Au XIXe siècle, le passage de l’huile au gaz pour l’éclairage et, surtout, du gaz à l’électricité a eu le même effet. Le catalogue de l’exposition « Nuits électriques », présentée au MuMa, cite les Mémoires du baron Haussmann : « Une révolution radicale semble être sur le point de se produire dans l’éclairage de la voie publique à Paris : la substitution de la lumière électrique à celle du gaz, […] et je le regrette, écrivait-il. En effet, la lumière électrique a un ton blafard, lunaire, […] déplaisant. » Un défaut des lampes à arc que Thomas Edison corrigea en partie avec sa lampe à incandescence.
L’exposition dévoile la révolution – le mot d’Haussmann était justifié – que furent l’adoption puis l’extension rapide de l’éclairage urbain. Un changement esthétique non seulement parce que l’on ne voyait littéralement plus les choses de la même manière, mais aussi en raison du mobilier nouveau qu’il induisait : réverbères, poteaux d’acier portant les puissantes lampes à arc, puis kiosques éclairés, enseignes… Un changement sociétal, enfin, du fait qu’il favorisait une vie nocturne. A contrario, l’éclairage électrique a permis l’allongement des journées de travail puisque les ateliers étaient désormais bien éclairés et, surtout, parce que l’on pouvait se permettre de relâcher les travailleurs (et particulièrement les ouvrières) dans la rue après la tombée de la nuit.
Entre 1870 et 1914, les peintres, les graveurs, les photographes, les cinéastes et même des sculpteurs s’attachèrent à rendre ce que la commissaire, Annette Haudiquet, directrice du MuMa, qualifie de « métamorphose du paysage nocturne ». Ainsi, en 1872-1873, Claude Monet peignait Le Port du Havre, effet de nuit, œuvre magique où la lumière des lanternes au gaz éclairant les quais se reflète dans la mer. Le tableau n’est malheureusement plus présent à l’exposition car le prêteur devait faire face à d’autres engagements. Dans la salle qui lui est réservée, Nocturne (1900) d’Eugène Jansson, le « peintre bleu », offre aux visiteurs la contemplation d’une autre côte illuminée.
Riche de 150 œuvres, le parcours suit l’apparition des réverbères dans le paysage, explore les reflets des ports, les rues chichement éclairées, le peuple de la nuit et Paris, la « Ville Lumière ». Une large place est laissée aux photographes pour lesquels, précisent les textes de salle et l’important catalogue, la prise de vue de nuit représentait alors un défi. L’exposition s’achève sur un film, La Guerre nocturne, les projecteurs électriques au front (1916) d’Alfred Machin. Une autre époque avait commencé : bientôt l’on construirait une fausse ville de Paris destinée à détourner les attaques aériennes et pour laquelle l’ingénieur Fernand Jacopozzi créerait l’éclairage plus vrai que nature d’une pseudo-gare de l’Est…
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°551 du 18 septembre 2020, avec le titre suivant : Les lumières de la ville