Grâce à des prêts exceptionnels consentis par le Maroc, une exposition brosse, sur cinq siècles, la flamboyante épopée des dynasties berbéro-andalouses et de leurs somptueuses capitales.
PARIS - Combien était palpable l’émotion des deux commissaires scientifiques le jour de l’inauguration ! Comme un résumé éloquent des efforts et de l’énergie déployés conjointement par Yannick Lintz, la directrice du département des Arts de l’Islam du Louvre, et Bahija Simou, qui préside aux destinées des Archives royales du Maroc. Fruit de négociations diplomatiques au plus haut niveau, des prêts exceptionnels permettent ainsi de faire revivre, le temps éphémère d’une exposition, les grandes heures du Maghreb médiéval lorsque, du XIe au XVe siècle de notre ère, il égrenait comme autant de joyaux ses cités et monuments constellés de zelliges et de stucs.
Sans doute faut-il interpréter cette abondance par la volonté explicite du roi Mohammed VI de promouvoir, par-delà les frontières de son royaume, l’image d’un Maroc exempt de tout fanatisme religieux, capable de faire dialoguer théologiens, philosophes et poètes de toute confession. Soit une vision aux antipodes des fracas des armes et des folles dérives d’un islam radical…
Culture arabe et sensibilité berbère
On aurait tort, cependant, d’interpréter les quelque 300 pièces jalonnant le parcours comme de simples œuvres d’art, aussi somptueuses soient-elles. Échappés de la quiétude de leur mosquée ou de leur madrasa (université), manuscrits coraniques, lustres et minbars (chaires pour le prêche) accompagnent d’ordinaire la prière des fidèles. Il a donc fallu toute la persuasion des commissaires de l’exposition pour apprivoiser les craintes, surmonter les difficultés techniques. Un objet résume peut-être, à lui seul, les démarches déployées des deux côtés de la Méditerranée. Exceptionnel par sa taille (1,60 m) et son poids, le lustre de la mosquée Qarawiyyin de Fès a dû ainsi être démonté pièce par pièce. Il a ensuite été transporté aux premières lueurs du soleil pour éviter l’encombrement matinal des ruelles étroites de la médina – « De la même façon que l’on conduit la jeune mariée le jour de ses noces », plaisantait, le jour du vernissage, Bahija Simou… De même, comment ne pas être ému devant ce minbar de la mosquée des Andalous – l’un des plus anciens conservés dans le monde islamique – dont le motif décoratif en forme de livres exprime, plus que tout long discours, le souci de ces dynasties d’ériger le savoir scientifique au rang de dogme suprême ?
« Montrer au large public du Louvre ce brillant foyer de civilisation islamique au cœur de l’Occident médiéval, dans un destin partagé entre l’Afrique et l’Europe, est une vraie nouveauté », souligne Yannick Lintz dans l’épais catalogue qui accompagne l’exposition.
Loin de focaliser son attention sur la rive andalouse, l’exposition du Louvre déplace ainsi le regard sur ces dynasties nées sur le sol marocain (les Idrissides, Almoravides, Almohades et Mérinides) qui ont su opérer, entre le Xe et XVe siècle, une synthèse entre culture arabe et sensibilité berbère autochtone. À contempler les pièces exposées au Louvre, on se prend à rêver de cette époque qui vit circuler, de Fès à Séville, en passant par Tombouctou, Marrakech, Ceuta, Rabat et Cordoue, les hommes, les objets, mais aussi les idées ! « Le Maroc devint ainsi une terre de rencontre de civilisations et un espace d’échanges où se mêlaient et interagissaient plusieurs influences, celles de l’Afrique sub-saharienne, des États italiens, des royaumes espagnols ou encore de l’Égypte des Mamelouks. L’acmé atteint en cette période par l’Occident musulman a permis l’intégration des apports culturels arabes, amazighs, juifs, andalous et africains, contribuant à l’épanouissement d’une civilisation alimentée par de multiples affluents, et comme telle, génératrice de créativité et d’innovations », résume Bahija Simou.
Le visiteur ne sera donc guère surpris d’admirer, réunis le temps de l’exposition, une page de La Géographie d’Al-Idrisi (sans doute le géographe le plus célèbre du monde arabe), un manuscrit illustrant la pensée du savant juif Maïmonide, une réplique en bronze du Griffon de Pise et le Lion dit de « Mari-Cha » (probablement des automates exécutés au milieu du XIIe siècle par des artisans venus d’al-Andalus), des jarres et des margelles de puits de Séville ou de Cordoue (destinées à recueillir l’eau, la récompense suprême pour le croyant), mais aussi de splendides astrolabes provenant de Marrakech, vecteurs de la pensée scientifique…
Vêtements liturgiques
L’étonnement viendra tout autant de ces vêtements liturgiques conservés, à titre de reliques, dans les trésors des églises chrétiennes. Ornée d’un somptueux décor de paons affrontés, la chasuble dite « suaire de saint Exupère » a probablement été découpée dans un tissu d’origine orientale ! Si l’exposition s’achève sur le flamboiement de la dynastie des Mérinides entre 1269 et 1465, elle n’en annonce pas moins les signes inéluctables du déclin. En témoigne cette somptueuse bannière en soie brodée ayant appartenu à l’un de ses derniers sultans : prise de guerre, elle fait désormais partie des trésors de la cathédrale de Tolède.
Il n’en demeure pas moins que l’héritage d’al-Andalous palpite encore au cœur du Maroc moderne et de ses labyrinthiques médinas. Regrettons juste que la muséographie, un brin froide, peine à en restituer l’enivrante beauté…
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Les grandes heures du Maroc médiéval
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Abonnez-vous dès 1 €Le Maroc médiéval, un empire de l’Afrique à l’Espagne
Jusqu’au 19 janvier 2015, Musée du Louvre, hall Napoléon, 162, rue de Rivoli, 75001 Paris, tél. 01 40 20 50 50, www.louvre.fr, tlj sauf mardi 9h-18h, jusqu’à 21h45 les mercredi et vendredis. Catalogue, coédition Hazan/Musée du Louvre Éditions, 432 p., 49 €.
Organisée conjointement par le Musée du Louvre et la Fondation nationale des Musées du Maroc, l’exposition sera présentée ultérieurement au musée Mohammed-VI de Rabat, au Maroc.
Légende Photo :
Vue de l’exposition « Maroc médiéval », avec le grand lustre de la Mosquée Qaraouiyne. © Photo : Musée du Louvre/Antoine Mongodin.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°423 du 14 novembre 2014, avec le titre suivant : Les grandes heures du Maroc médiéval