Un parcours réjouissant parmi les œuvres des artistes femmes réunies autour du fondateur de « Der Sturm » est présenté à la Schirn Kunsthalle de Francfort.
FRANCFORT-SUR-LE-MAIN - Commençons par l’essentiel : l’exposition est formidable. Pourtant, le sujet, voire le prétexte, est mince : les artistes femmes réunies autour de Herwarth Walden (1878-1941), fondateur en 1910 de la fameuse revue berlinoise Der Sturm et, deux ans plus tard, d’une galerie du même nom. Selon les organisateurs de « Sturm-Frauen », le pourcentage de femmes à y avoir exposé est beaucoup plus élevé que partout ailleurs en Allemagne. Walden, cependant, ne s’est jamais exprimé sur ce sujet, semblant même y être indifférent. Pas totalement à ce qu’il paraît, car ses deux femmes – successives – étaient des artistes. Gageons toutefois que cet élément biographique n’a qu’une valeur anecdotique. Il est probable que cette ouverture d’esprit s’explique par l’importance de la présence féminine dans le milieu d’avant-garde auquel est vouée la galerie Der Sturm. On est frappé également par le nombre important de couples d’artistes à fréquenter ce lieu (Kandinsky et Münter, Jawlensky et Werefkin, Sonia et Robert Delaunay, Larionov et Gontcharova…), situation qui permet aux femmes artistes de pénétrer plus facilement un univers quasi exclusivement masculin.
Tous les « -ismes »
Les dix-huit femmes exposées à la Schirn Kunsthalle à Francfort ont peu en commun, à part leur rencontre avec Walden, directement ou par le biais de l’un des « passeurs », tels Apollinaire ou Max Jacob. Expressionnisme, cubisme, futurisme, primitivisme, toutes les tendances des deux premières décennies du siècle dernier sont déclinées dans un parcours qui propose des regroupements monographiques. On peut penser que la place d’honneur réservée à Gabriele Münter – son bel autoportrait accueille le visiteur – est un rappel du goût de Walden pour l’expressionnisme et plus particulièrement pour le chef de file du Blaue Reiter, Kandinsky, dont Münter fut la compagne. Cette dernière cependant, pas plus que Marianne von Werefkin, la compagne de Jawlensky, n’a nul besoin de son partenaire pour que l’on apprécie sa peinture. Les deux artistes simplifient les formes et rejettent une vision détaillée de la réalité. Toutefois, quand Münter se concentre sur des scènes d’intérieur, les paysages étranges de Werefkin acquièrent une dimension spirituelle, quasi religieuse.
Suivent, pêle-mêle, des artistes connues et des découvertes. Ainsi, une section importante est consacrée à Sonia Delaunay, avec des travaux venant des arts décoratifs – motifs de tissus, costumes pour le théâtre, le ballet et le cinéma. L’ensemble des toiles signées Natalia Gontcharova, peintre russe rarement exposée en France, démontre que la qualité de ses œuvres de la période primitiviste (Travail au jardin, 1908) ou de celles cubo-futuristes (Femme au chapeau, 1913) n’a rien à envier à Malevitch. C’est en effet en Russie que l’on voit apparaître, probablement sous l’influence de l’idéologie révolutionnaire, une quantité impressionnante de femmes peintres, dénommées « les Amazones ». L’une d’entre elles, Alexandra Exter (lire aussi p. 23), est connue par sa pratique picturale du cubisme, proche de l’abstraction, mais aussi par ses réalisations pour le théâtre (Arlequin noir, 1926).
Artistes oubliées
En toute logique, les deux épouses de Walden, Else Lasker-Schüler et Nell Walden, trouvent leur place à Francfort. La première, une poétesse expressionniste renommée, pratique essentiellement le dessin comme équivalent graphique de son écriture. La seconde, dont la peinture reste trop influencée par Kandinsky et Jawlensky, a joué un rôle essentiel dans le développement de la galerie, à travers ses nombreux contacts internationaux.
Cependant, le mérite principal de la manifestation est de montrer des artistes relativement oubliées et dont l’œuvre étonne. Ainsi, les tableaux d’Emmy Klinker sont proches du réalisme magique (Usine, 1918). Ailleurs, les gravures et les peintures de Jacoba Van Heemskerck peuvent être vues comme une version un peu fantaisiste du constructivisme. Ailleurs encore, la Belge Marthe Donas, qui a travaillé longtemps avec Archipenko, invente un cubisme coloré et virevoltant.
La grande surprise arrive à la fin et se nomme Lavinia Schulz. Cette femme a non seulement pratiqué la danse et la pantomime, mais elle a aussi participé à la fabrication de masques et de costumes qu’elle revêtait pour des représentations théâtrales proches de performances (1920 et 1924). Baptisés Die Maskentänzer (« les danseurs masqués »), ce sont des « personnages » hybrides et énigmatiques, mi-animaux, mi- mannequins. La qualité de ce « ballet » sauvage n’est pas inférieure à celle du Ballet réalisé par Schlemmer dans son atelier du Bauhaus. En somme, les femmes peuvent être d’excellentes artistes. Mais cela, on le savait déjà.
Commissaire de l’exposition : Ingrid Pfeiffer, Schirn Kunsthalle
Nombre d’artistes : 18
Nombre d’œuvres : 280
Pour son 200e anniversaire, le Städel Museum de Francfort, qui possède une remarquable collection de vieux maîtres et d’art moderne, a monté une opération de prestige. Avec 65 prêts venant du monde entier, il s’agissait de créer des « rencontres » entre les œuvres sur place et celles « invitées ». Le résultat est décevant. De fait, les critères pour former ces agencements semblent parfois un peu simplistes ; il ne suffit pas de juxtaposer deux représentations de la fosse d’orchestre de Degas ou deux paysages urbains peints par Beckmann pour montrer la subtilité de chacun de ces tableaux. Impossible ainsi de savoir si les comparaisons sont d’ordre thématique ou formel. Quelques exceptions : trois toiles qui figurent des nus dans un paysage, datant autour de 1909, par les artistes expressionnistes membres de Die Brücke (Kirchner, Heckel et Pechstein), ou l’étonnant face-à-face entre l’icône de la peinture allemande, soit le portrait de Goethe par Tischbein (1787), et sa version en sérigraphie par Warhol (1982). Ailleurs, plus qu’à de véritables rencontres, le visiteur a l’impression d’assister à un « speed dating ».
« Dialogue entre chefs-d’œuvre »
Städel Museum, Schaumainkai 63, Francfort-sur-le-Main, www.stadelmuseum.de. Jusqu’au 24 janvier 2016.
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Les femmes de Walden
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 7 février 2016, Schirn Kunsthalle, Römerberg, Francfort-sur-le-Main, tél. 49 69 29 98 820, www.schirn.de, tlj sauf lundi, 10h-19 h, mercredi et jeudi jusqu’à 22h, entrée 11 €. Catalogue, Wienand Verlag, Cologne, anglais-allemand, 400 p, 45 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°447 du 11 décembre 2015, avec le titre suivant : Les femmes de Walden