Evocation

Les fantômes des fastes de Louis XIV

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 30 novembre 2007 - 594 mots

Les grands appartements du château de Versailles accueillent une exposition
qui revisite l’éphémère mobilier d’argent du roi.

VERSAILLES - Avec cette exposition, le château de Versailles se lance dans un pari vain : faire revivre le mythique mobilier d’argent de Louis XIV, dont toutes les pièces ont pourtant été fondues en 1689. Connues par quelques rares dessins et témoignages, ces deux cents objets d’art ont été créés à partir de 1664, alors que le roi bénéficiait d’une abondante manne financière, liée aux réformes de son ministre Colbert. Reprenant une vieille tradition liturgique consistant à transformer le numéraire en objets précieux, le monarque lance cette grande entreprise, qui vise aussi à démontrer la supériorité des ateliers français. Vingt tonnes d’argent sont ainsi livrées aux meilleurs orfèvres de l’atelier des Gobelins et des galeries du Louvre, qui cisèlent des pièces extravagantes, dont la plupart ont été dessinées par Charles Le Brun. Outre les classiques objets d’orfèvrerie, torchères, cassolettes ou aiguières, en sortent aussi d’incroyables miroirs en argent massif pesant 425 kg ou des tables de 350 kg. L’une des pièces de la tenture de L’Histoire du roi (1667-1670) illustre ainsi le branle-bas de combat au sein de l’atelier des Gobelins lors de la visite royale du 15 octobre 1667, où l’on s’affaire autour du mobilier royal.

Luxe inouï
Cette « grande argenterie » rejoint progressivement les appartements du roi où ses hôtes peuvent s’émerveiller devant tant de splendeur. Versailles brille alors de mille feux avec ce décor d’un luxe inouï, éclairé à la bougie lors de soirées dites d’appartement.  La mode du mobilier d’argent – rarement massif comme celui du roi –  se propage chez les grands et dans les cours étrangères. Les imitations en bois argenté et bruni se multiplient, alors que les princes germaniques relancent par leurs demandes les productions des ateliers d’Augsbourg (Bavière). Mais en 1689, le roi surprend la cour par sa fermeté. Pour faire face aux coûts de la coalition antifrançaise de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, Louis XIV décide d’envoyer à la fonte l’intégralité de ses pièces. En six mois, le mobilier d’argent s’évanouit dans les creusets de la monnaie. La couronne n’en retire que 2 millions de livres alors que le roi en espérait 6 : cette folie lui en avait coûté 10 ! Connue par plusieurs témoignages, dont celui de l’architecte suédois Tessin (1687), la « grande argenterie » accède très vite au registre du mythe.
Comment, dès-lors, faire revivre cet ensemble à jamais disparu ? Le commissaire de l’exposition, Béatrix Saule, a choisi de jouer sur le registre de l’évocation, au détriment des documents historiques et des dessins, relégués en préambule. Les grandes collections européennes ont donc été sollicitées, notamment celles du château royal de Rosenborg, qui, étant fermé pour travaux, a consenti le prêt de 70 pièces, dont un des lions d’argent (1665-1670) protégeant le trône royal. Pour éviter d’être totalement hors sujet, une présentation dans les Grands appartements s’imposait. Ces derniers ont donc été totalement démeublés pour accueillir cette exposition temporaire, dont la direction artistique a été confiée au décorateur Jacques Garcia, qui officie d’ordinaire dans son château du Champs de Bataille (Eure). Connu pour son goût du scintillant, celui-ci a misé sur l’ambiance nocturne et l’éclairage tamisé. Une atmosphère de fête luxueuse, opportune à la veille des fêtes de fin d’année, qui n’est pas sans rappeler les images des magazines de décoration – vanités consuméristes contemporaines. L’exposition laissera néanmoins les puristes plus perplexes.

QUAND VERSAILLES ÉTAIT MEUBLÉ D’ARGENT

Jusqu’au 9 mars 2008, Musée et domaine national du château de Versailles, 78008 Versailles, tél. 0 810 81 16 14, www.chateauver sailles.fr, tlj sauf lundi 9h-17h30.

QUAND VERSAILLES ÉTAIT MEUBLÉ D’ARGENT

- Commissariat : Béatrix Saule, conservateur en chef et directeur du Centre de recherche du château de Versailles ; Niels-Knud Liebgott, directeur des collections royales au château de Rosenborg (Danemark) ; Lorenz Seelig, conservateur en chef des collections de Bavière à Munich (Allemagne); Catherine Arminjon, conservateur général du patrimoine ; Gérard Mabille, conservateur en chef au Musée national de Malmaison. - Direction artistique : Jacques Garcia, assisté de Philippe Jégou - Muséographie : Frédéric Beauclair, architecte d’intérieur - Éclairage : Eric Gall - Nombre de pièces : 200

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°270 du 30 novembre 2007, avec le titre suivant : Les fantômes des fastes de Louis XIV

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