L’œuvre de celui qui vécut à côté de Nice est ponctuée de nombreux autoportraits, mises en scène de soi associées au plaisir de paraître.
Sans doute, le Musée national Marc-Chagall à Nice aurait aimé disposer, pour sa récente exposition « Chagall devant le miroir. Autoportraits, couple et apparitions », des quelques autoportraits les plus connus de cet artiste (L’Autoportrait aux sept doigts ou Paris vue par la fenêtre). Cependant, malgré le refus de ces prêts, les organisateurs n’ont pas baissé les bras et ont puisé tantôt dans leur importante collection, tantôt dans les fonds Chagall, qui ont contribué généreusement à cette manifestation. Le résultat est une exposition qui, sans être exceptionnelle, offre des surprises, surtout dans le domaine graphique.
On peut constater tout d’abord la fréquence avec laquelle l’artiste se représente tout au long de sa vie, mais aussi la variété des stratégies employées pour ruser avec le principe de la reproduction – en la pulvérisant ou la mettant en dérision.
Faut-il croire que l’impossibilité d’une prise visuelle, d’une « auto-captation » définitive, lui est insupportable et fait naître le besoin pressant de vérifier sa propre image à chaque occasion ? Se chercher dans un reflet, se scruter dans un miroir, grimacer furtivement face à une glace ne sont que variations d’un répertoire sans fin. Ainsi, à sa façon, Chagall décline l’espoir secret de Narcisse qui perdure, quand le visage oscille entre méconnaissance originelle et attirance irrésistible.
Un artiste inquiet de son rôle dans la société
Curieusement, à la différence de la tradition de l’introspection qui caractérise l’autoportrait, ceux de Chagall semblent peu concernés par l’aspect psychologique. Tout laisse à croire qu’il ne partage plus l’illusion de ses illustres prédécesseurs qui ont interrogé leur visage tout au long de leur existence en espérant y découvrir une mise à nu de leur intimité, un strip-tease intégral de leur âme. Même quand Chagall se représente en train de grimacer, il se conduit devant sa toile comme au théâtre, en jouant des rôles différents. Une attitude peu étonnante si l’on se rappelle la fascination du peintre pour les acteurs et leur maquillage au cours de sa participation aux activités du théâtre juif (dans L’Autoportrait aux sept doigts, le visage bariolé de couleurs se transforme en un masque). Plaisir de paraître que Chagall avoue dans son récit autobiographique, Ma Vie (1931) : « Mes familiers m’ont surpris plus d’une fois devant la glace […] il y avait dedans un peu d’admiration […] je n’hésitais pas à me cerner un peu les yeux, à me rougir légèrement la bouche, bien qu’elle n’en eût besoin […] oui, je voulais leur plaire. »
Cependant, ces représentations ne s’arrêtent pas à la surface ; elles livrent, écrit Élisabeth Pacoud-Rème, « des fragments de réponse aux interrogations sur ses identités : en tant qu’individu, né dans un milieu juif et russe, devenu ensuite français, en tant qu’artiste inquiet de son rôle dans la société et enfin en tant qu’un homme religieux dans un monde devenu laïc ».
La liste n’est pas exhaustive. Les différentes attitudes sont regroupées dans des sections : les autoportraits au chevalet ou à la palette ; les doubles portraits/les portraits de couples ou encore ceux sous le masque…
Si les autoportraits dans l’atelier reprennent un topos qui traverse l’histoire de l’art, l’originalité de Chagall se trouve ailleurs. Dans cet exercice entre soi et soi, il introduit des invités (Bella, l’ensemble de sa famille, quelques représentants d’un bestiaire un peu modifié) ou des indices qui renvoient à sa culture (des instruments musicaux, avant tout le violon, une cérémonie religieuse ou une rue de son village natal). Surtout, c’est l’art de la métamorphose qui lui permet d’inventer un singulier universel, le personnage de « Luft-Mensch », l’homme qui flotte, littéralement « piéton en l’air ». (Le Voyageur, 1917, En avant, en avant, 1918). Luft-Mensch est la version comique, parfois grotesque, de l’homme sans attaches, de l’acrobate à la recherche de l’équilibre, du juif errant. Le même qu’on retrouve avec L’Autoportrait à la maison (1971) où, contrairement à son titre rassurant, la maison est placée sur la tête de Chagall.
Commissaires : Maurice Fréchuret, directeur des musées nationaux, Élisabeth Pacoud-Rème, chargée des collections
Nombre d’œuvres : 95
jusqu’au 7 octobre, Musée national Marc-Chagall, av. Docteur-Ménard, 06000 Nice, tél. 04 93 53 87 20, www.musee-chagall.fr, tlj sauf mardi 10h-18h.
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Les faces de Chagall
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Abonnez-vous dès 1 €Marc Chagall, En avant, en avant, 1918, mine graphite sur papier mis au carreau, 23,4 x 33,7 cm,Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. © Photo : Centre Pompidou, MNAM-CCI, dist. RMN/Philippe Migeat.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°395 du 5 juillet 2013, avec le titre suivant : Les faces de Chagall