Santander (Espagne). En exposant au Centro Botín, Anri Sala renoue un dialogue entamé sept ans auparavant avec l’architecture de Renzo Piano.
En 2012, l’artiste, qui bénéficiait d’une exposition au Centre Pompidou, avait conçu No window No Cry (Renzo Piano and Richard Rogers, Centre Pompidou, Paris), une vitre faisant office de caisse de résonance pour une boîte à musique jouant un air connu des Clash et encadrant la vue à la façon d’un tableau offert au spectateur. Cette œuvre est recréée au Centro Botín, écho dans le temps et l’espace installé au sein de la galerie sud de ce bâtiment érigé en 2017 face à la baie de Santander. Mais alors qu’à Paris les visiteurs pouvaient actionner eux-mêmes la petite manivelle du cylindre mécanique, ici la mélodie est réglée à la façon d’une bande-son infaillible.
C’est que les installations d’Anri Sala ne souffrent le hasard qu’à l’intérieur d’une partition savamment orchestrée. Ensemble sonore et visuel spectaculaire, As You Go (Châteaux en Espagne) [2019], qui donne son titre à l’exposition, en offre une parfaite illustration. Le dispositif, constitué d’un écran biface de 30 mètres de long sur lequel défilent par paires trois vidéos (Ravel Ravel [2013], Take Over [2017], If and Only If [2018]), a fait l’objet d’un patient travail de synchronisation mis au point grâce à une technologie de réalité virtuelle. Les intervalles entre les plans et les séquences participent ainsi d’une chorégraphie à l’intérieur de laquelle chacun est invité à évoluer librement. « Chaque visiteur va construire sa trajectoire, son expérience, et en exerçant sa subjectivité il ne doit pas avoir peur de manquer quelque chose », affirmait Anri Sala lors de l’inauguration. Comme toujours dans son travail, ce qui est montré – trois films musicaux mettant en scène des interprètes – a autant d’importance que la façon dont cela est montré. Le corps du spectateur se déplaçant à l’intérieur des images, des sons, de l’architecture, est ainsi pris dans un flux de sensations, comme au cœur de l’élaboration d’un souvenir. Le résultat, troublant, évoque le fameux dérèglement rimbaldien de tous les sens. À l’écran, un escargot à la viscosité élastique glisse en gros plan sur l’archet d’un violoniste exécutant une composition de Stravinsky. Parabole suggérant la dualité du vivant et de la technicité. « L’archet joue les cordes, l’escargot joue l’archet, les films jouent le dispositif et les visiteurs jouent l’espace », suggère l’artiste qui décrit chacun de ces mouvements comme un frottement de sens.
Dans la dernière salle de l’exposition, All of a Tremble (Encounter I) [2017, voir illustration] prend la forme d’un mur tapissé qui occulte le panorama maritime. Placée entre deux lés graphiquement différents, une boîte à musique, dont émanent comme une plainte des notes métalliques répétitives, semble être à l’origine des motifs imprimés sur le papier. Cette impression – au double sens du terme – est cependant une illusion, tandis qu’en tournant les cylindres mécaniques transforment bien le dessin en sons. « J’ai imaginé le musée comme un instrument », explique Anri Sala. Et le Centro Botín vibre, c’est sûr.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°537 du 17 janvier 2020, avec le titre suivant : Les énigmes musicales d’Anri Sala