LE MANS
Le Musée des beaux-arts du Mans met en scène des costumes d’époque, sur fond de peinture nordique, pour étudier la société des Provinces-Unies.
Le Mans. À Tours, Angers et au Mans, dorment des collections de peintures nordiques peu connues, et dont l’étude reste à mener. Dans la Sarthe, c’est à la faveur d’un stage lors de sa formation à l’Institut national du patrimoine que le conservateur Vincent Lamouraux s’est penché sur le fonds du Musée de Tessé. Attribution, provenance et histoire des collections s’établissent alors pour la centaine d’œuvres conservées dans le musée manceau : un fonds hétéroclite, qui va de la scène de genre aux peintures religieuse, et à la qualité variable.
Pour mettre en valeur ces collections oubliées, ce n’est pas une exposition d’histoire de l’art que le Musée de Tessé propose cet hiver, mais une plongée historique et anthropologique dans la société des Provinces-Unies de l’époque par le prisme du tissu. Grâce aux partenariats noués avec les musées voisins, avec le Louvre, mais aussi des prêts venus des Pays-Bas, le parcours en sept séquences explore les enjeux sociaux, économiques, symboliques et commerciaux d’un artisanat devenu central à l’orée du XVIIe siècle, pour ce petit pays récemment indépendant.
Premier obstacle dans la construction de cette exposition : il ne reste presque rien des costumes flamands du XVIIe siècle. Et pour cause, le matériau – alors précieux – est usé jusqu’à la corde, revendu par des fripiers, puis transformé en pâte à papier. De cette « économie circulaire » avant l’heure, quelques rares artefacts subsistent néanmoins dans les collections des musées néerlandais. La commissaire Alexandra Bosc, conservatrice passée par le Musée Galliera et désormais installée à Utrecht, a ponctué le parcours de quelques pièces exceptionnelles, comme une paire de gants destinée au mariage d’une notable. Un ouvrage luxueux dont on retrouve la représentation sur un portait de jeune femme, prêté par le Louvre.
Pour donner davantage de relief au parcours, le Musée de Tessé a fait appel au costumier Sébastien Passot. Installé à Londres, spécialisé dans la reconstitution des tenues historiques, il a créé pour l’occasion deux costumes, correspondant au canon du vestiaire féminin et masculin que l’on retrouve dans les nombreux portraits hollandais. Bien explicitée dans le catalogue, la démarche du couturier tient presque de l’archéologie expérimentale. Au sein de l’exposition, ce sont deux temps forts, un support de médiation idéal pour les visites, qui incarnent le discours développé par la peinture, les archives, et les quelques reliques textiles présentées en amont.
L’intérêt de cette exposition est aussi de battre en brèche le cliché d’une Hollande habillée en noir et blanc, symbole d’une société modeste et laborieuse. Le noir et les fraises dont les proportions gonflent avec les décennies sont des marqueurs sociaux forts pour la classe supérieure commerçante qui émerge dans cette jeune république. La couleur existe chez les plus modestes, que l’on voit arborer des tenues brunes et rouges dans une représentation de l’hiver attribuée à Pieter Snayers, où seul un couple fortuné se distingue par les teintes sombres de leur costume. Dans un autre prêt du Louvre – un portrait de famille signé Pieter Soutman –, on s’aperçoit que, derrière le sobre masque du costume noir, les familles aisées prisent également la couleur et la mise en scène de leur apparence.
À ce volet sociologique, l’exposition adjoint une réflexion sur le développement économique de ce secteur textile florissant, bien documenté par quelques objets exceptionnels. Un album d’échantillons venu de Leyde témoigne de la naissance d’un véritable processus de « contrôle qualité », attribuant à chaque fabriquant une qualité de teinture noire, obtenue grâce au précieux pigment indigo.
La peinture n’est pas en reste dans cette exposition aux accents socio-économiques, avec de beaux portraits, signés Jacob Jordaens ou Bartholomeus Van der Helst, et qui démontrent cette tension entre rigueur protestante et volonté d’ostentation. Et puisqu’il s’agit aussi de redécouvrir le fonds manceau, l’exposition présente un beau cycle de « Sibylles » complet, attribué à Jan Van den Hoecke. Un ensemble d’une dizaine de peintures, où de lourds brocards accompagnent les figures allégoriques : symboles de richesse, ces tissus évoquent également l’Orient, bien loin du strict costume en noir et blanc.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°600 du 2 décembre 2022, avec le titre suivant : Les costumes de la société flamande au XVIIe siècle