Le Musée de Gand et la KunstÂverein de Cologne viennent de présenter presque simultanément deux expositions aux allures de \"chantiers\". Elles tentent de faire du musée le lieu d’élaboration des œuvres, et remettent au goût du jour une esthétique de la récupération chère aux artistes des années soixante.
COLOGNE - Avec "Der Stand der Dinge", Udo Kittelmann, récemment nommé à la tête de la Kunstverein, a organisé du 29 octobre au 23 décembre 1994, sa deuxième exposition. Elle réunissait treize artistes, de générations et de nationalités différentes, sous un titre emprunté au film de Wim Wenders, "L’état des choses". Titre qui se différencie de celui du film de Peter Fischli et David Weiss, "Le cours des choses" ("Der Lauf der Dinge"), qui recréait le mouvement perpétuel à partir d’un enchaînement de réactions chimiques et mécaniques. Ici, l’ensemble est au contraire très figé, mais non moins chaotique.
Des "objets-leurres"
Fischli et Weiss présentaient quelques "objets-leurres", faux ready-mades puisqu’ils sont fabriqués en polystyrène et peints à la main. Planches, pots de peintures et autres matériaux de chantier sont adossés au mur, dans l’esprit de leur récente exposition à New York, à la galerie Sonnabend. Ils annoncent le désordre ambiant qui, vu de l’extérieur à travers des vitres, laisse croire que la Kunstverein est en plein décrochage. Martin Kippenberger pose une benne à ordures pleine de ses toiles, détruites après avoir été photographiées. Laurie Parsons ramène quelques débris new-yorkais qui jonchent le sol. Un plan remis au spectateur à l’entrée lui permettait de se repérer au milieu de cette grande décharge, qui s’achevait sur les étagères des réserves du musée déplacées par Rikrit Tiravanija dans la salle d’exposition.
Cette présentation rappellait la récente exposition organisée par Bart De Baere au Musée de Gand, "This is the show and the show is many things". Les espaces du musée étaient divisés en trois sections : une réserve de stockage, les ateliers d’artistes et les espaces d’exposition, sans pour autant qu’on puisse clairement les différencier. Partout s’affirmait la volonté de laisser les choses en suspend, souvent bricolées avec les moyens du bord. Tout cadre, socle ou cartel était exclu d’une exposition qui prétendait n’avoir ni début ni fin, interrogeant d’abord son propre processus d’élaboration.
Statut de l’œuvre
Si l’exposition de Cologne affichait un désordre plus stable, l’une et l’autre revendiquaient une même esthétique de la récupération, etcréaient un nouveau type de poncif. Il est curieux de constater qu’un peintre ait été invité dans chacune des expositions, mais qu’à Gand, Luc Thuymans soit intervenu sur l’éclairage, et qu’à Cologne, Lawrence Carroll se soit contenté de laisser sur le mur les restes de son passage : traces de peinture et morceaux de scotch arrachés. On est souvent proche des poubelles d’Arman ou, côté américain, des installations bricolés de Barry Le Va.
Ces attitudes, puisque tous les artistes ne revendiquent pas des œuvres, rappellent par trop la logique du "bien fait, mal fait, pas fait" de Robert Filliou, l’humour en moins. Les deux institutions semblaient vouloir reposer la question du statut de l’œuvre et de son élaboration, mais il n’était pas ici prouvé qu’elle puisse se résoudre au musée.
Museum Van Hedendaagse Kunst, Gand, 17 sept. - 27 nov. 1994 "Der Stand der Dinge", Kölnischer KunstÂverein, 29 oct. - 23 déc. 1994
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Les choses en l’état
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°10 du 1 janvier 1995, avec le titre suivant : Les choses en l’état