Avant de rejoindre les collections permanentes du Fogg Art Museum, à Cambridge, les dessins hollandais de la donation Abrams sont présentés à l’Institut néerlandais à Paris. Une occasion unique d’admirer des feuilles exécutées par les plus grands artistes flamands et hollandais de la fin du XVIe et du XVIIe siècle.
PARIS - Grands amateurs de dessins hollandais et flamands, les Américains Maida et George Abrams ont réuni pendant quarante ans quelque 500 feuilles des plus grands maîtres du siècle d’or hollandais. Avides de nouvelles acquisitions autant que désireux de faire partager leur passion, ils ont toujours mis leurs dessins à la disposition des spécialistes comme du grand public. “Pour peu qu’on les rende accessibles aux étudiants, aux historiens et au public, les œuvres d’art ne cesseront jamais de voir croître l’intérêt qu’on leur porte”, affirme George Abrams dans le catalogue de l’exposition. Cette volonté de transmission a connu son point d’orgue avec la donation de 110 œuvres de la collection Abrams au Fogg Art Museum de l’université d’Harvard, réputée pour ses études consacrées aux dessins de maîtres anciens. Constituant, selon les termes de George Abrams, “le cœur de sa collection”, ces feuilles sont présentées à l’Institut néerlandais de Paris avant de rejoindre définitivement les cimaises du Fogg Art Museum, en mars 2003.
Une riche sélection de paysages
Une sanguine d’Adriaen van de Velde accueille le visiteur. Figurant une bergère, cette étude croquée sur le vif témoigne de la diversité des talents de l’artiste, qui s’essaya à tous les genres (paysage, étude d’animaux, scène pastorale) et à toutes les techniques (peinture, gravure, dessin). Elle constitue un gracieux prélude à un parcours chronologique, qui débute avec des paysages de la deuxième moitié du XVIe et du début du XVIIe siècle : se côtoient un rare dessin de Pieter Bruegel l’Ancien sur papier bleu (on conserve 61 feuilles de l’artiste dont deux seulement sur ce support), exécuté durant sa dernière année en Italie (1554) ; un paysage sylvestre de Paul Bril où transparaît l’influence de Bruegel l’Ancien, et une étude inédite d’Hendrick Vroom, qui livre dans ce Paysage rocheux avec une rivière, près d’Aix-en-Provence l’un des premiers paysages d’après nature, où l’intérêt pour la réalité topographique l’emporte sur la recherche d’effets pittoresques. Une même préoccupation se retrouve chez Claes Jansz. Visscher, premier à se spécialiser dans les vues de villes, de villages et de scènes rurales aux Pays-Bas septentrionaux (Vue de Houewael). Esaias van de Velde se distingue pour sa part avec Village en hiver. Par un jeu d’effets picturaux novateurs (larges touches de lavis sur les traits à la pierre noire, estompe de la pierre noire par endroits), ce dessin s’impose pour son pouvoir d’évocation d’une condition atmosphérique. Plus loin, mentionnons deux dessins de Cornelis Vroom, dont il subsiste aujourd’hui moins de vingt-cinq feuilles, et un bel ensemble d’œuvres de Jan van Goyen dont Les Oiseleurs, scène de genre unique dans la production d’un artiste qui fut avant tout un paysagiste.
Aux paysages succède l’étude de la figure humaine avec Hendrick Goltzius, célèbre pour ses corps élancés au canon maniériste – en témoigne notamment l’une de ses rares études de nus féminins conservée – et Cornelis, l’un des artistes maniéristes les plus féconds et talentueux de Haarlem. Perdue au milieu de ces représentations humaines, Trois études d’une libellule, de Jacques de Gheyn II, illustre l’habileté du dessinateur dans la description de la nature comme dans la délicatesse et la subtilité de son trait.
Point fort de l’exposition, la salle suivante est consacrée aux dessins de Rembrandt et de son entourage. Sont notamment présentées plusieurs pièces remarquables de ses élèves, comme Femme effectuant des travaux d’aiguille de Gerbrand van den Eeckhout, à la sobre mise en page et au lavis brun délicatement gradué, ou Homme assis dans son bureau de Nicolaes Maes, dont la technique rappelle celle de son maître dans les années 1650. De ce dernier, on peut admirer des études à la plume réalisées après l’installation de Rembrandt à Amsterdam en 1632 (à la technique déliée combinant zones sommairement indiquées et détails méticuleusement rendus), de petites esquisses à la pierre noire des années 1640 figurant l’essentiel avec une grande économie de trait, ainsi que des paysages à la plume de la maturité de l’artiste.
Tandis que la virtuosité de la génération qui succéda à Rembrandt est évoquée par deux dessins de Jacob van Ruisdael, inventifs et fécond paysagiste de l’Âge d’or hollandais (Deux grands chênes et deux grands daims), la diversification progressive du paysage est illustrée par plusieurs marines (genre qui se développa dès 1620) de Reinier Zeeman, Simon de Vlieger, et son élève, Willem van de Velde le Jeune.
Partageant le goût pour le dessin achevé, si cher aux collectionneurs du XVIIIe siècle, les époux Abrams ont également acquis de nombreuses scènes paysannes des frères Van Ostade et de Cornelis Dusart, à l’image de la truculente Scène d’intérieure avec des paysans buvant et fumant d’Adriaen van Ostade, qui associe aquarelle et gouache.
Une ravissante sélection de croquis d’animaux à la pierre noire et d’aquarelles de fleurs, d’oiseaux et d’insectes conclut ce panorama d’une collection où la qualité le dispute à la rareté.
Jusqu’au 10 octobre, Institut néerlandais, 121 rue de Lille, 75007 Paris, tél. 01 53 59 12 40, tlj sauf lundi, 13h-19h. Catalogue, éd. Fondation Custodia, Paris, 304 p., 284 ill., 45 euros.
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Les belles feuilles d’Abrams
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°157 du 25 octobre 2002, avec le titre suivant : Les belles feuilles d’Abrams