ESPACE
Si le lien entre sciences et art ne va pas de soi, les mystères de l’espace et ses questionnements métaphysiques attisent l’élan créatif de plus en plus d’artistes.
Y a-t-il de la vie sur la planète rouge ? La mission ExoMars nous l’apprendra peut-être bientôt. Une chose est sûre en revanche, il y a de l’art sur la lune : Fallen Astronaut, minuscule sculpture de l’artiste belge Paul Van Hoeydonck accompagnée d’une plaque commémorative à la mémoire des astronautes disparus au cours de leur mission, fut déposée par une équipe de la NASA sur la surface astrale en 1971. La revue annuelle Espace(s) éditée par l’Observatoire du CNES (Centre national d’études spatiales) rappelait la présence de cette installation extraterrestre dans son quatrième numéro, paru en 2008, le premier à ouvrir ses pages non plus seulement à des écrivains, mais également à des artistes plasticiens.
Un nouveau territoire pour la création
Consacré cette fois-ci au thème des « Robots, Cyborgs & autres compagnons », le douzième numéro de la revue, dont la couverture s’orne d’une reproduction de Scaphandres en céramique de Michel Gouéry, confirme son orientation et l’importance croissante qu’ont pris les projets artistiques au sein de l’Observatoire de l’espace. Le programme Création et imaginaire spatial engage ainsi chaque année une collaboration entre le monde scientifique et des « artistes en résidence », tel Bertrand Rigaux. Celui-ci avait le projet de filmer une lente conquête du ciel traduite par un plan séquence ascensionnel, tentative de renouveler le monochrome. Pour obtenir cet enregistrement vidéo, une caméra fut placée dans une nacelle fixée sous un ballon léger dilatable et confiée aux bons soins d’une équipe d’ingénieurs du CNES : moins simple que prévu. Le plus souvent, le laboratoire se contente de mettre à disposition des artistes des archives documentaires, d’organiser pour eux des rencontres avec des chercheurs et des visites de lieux de l’industrie spatiale, comme ce fut le cas pour accompagner le travail du photographe Raphaël Dallaporta, réflexion sur les traces de l’espace sur terre.
Créé en 2001, l’Observatoire de l’espace du CNES n’a longtemps ouvert ses portes que pendant la Fête de la Science (en octobre). Il a depuis 2011 son propre festival, Sidération, dont la riche programmation mélange arts plastiques et spectacles vivants. Il prend également part à la Nuit Blanche pour la troisième édition consécutive. Son responsable, Gérard Azoulay, astrophysicien de formation, est à l’origine de cette ouverture vers les sciences humaines et la création qui a pour ambition « de réinscrire l’espace dans sa dimension culturelle », de l’habiter par l’imaginaire. Voire, de le « civiliser » comme le suggérait récemment le titre de l’exposition d’Octave de Gaulle au Musée des arts décoratifs et du design de Bordeaux. Près de soixante-dix ans après le lancement des premiers satellites américains et soviétiques marquant le début de l’ère spatiale, le designer, en résident hors-les-murs de l’observatoire du CNES, entendait « poser les bases d’une ergonomie spatiale », pour mieux vivre en apesanteur.
Onction spatiale
Fascination pour un inconnu qui nous tient lieu d’horizon ? En février dernier, la NASA lançait sur Twitter la campagne ≠WeTheExplorers invitant les artistes à lui communiquer des œuvres, afin de les numériser et de les charger sur une carte mémoire envoyée via une sonde vers un lointain astéroïde. « C’est le fantasme de l’onction spatiale », s’amuse Gérard Azoulay, soulignant la difficulté à donner du sens aux échanges entre art et sciences. De Léonard de Vinci à Panamarenko en passant par Warhol, les artistes ont toujours eu un peu la tête dans les étoiles. On ne s’étonnera pas que l’appel à projets du CNES pour la Nuit Blanche donne lieu à des candidatures de plus en plus nombreuses (80 pour cette édition 2016, contre 40 en 2014).
Mais le laboratoire art-science mesure aussi le succès de sa démarche à l’intérêt qu’elle suscite chez des artistes établis, comme Laurent Grasso, venu trouver Gérard Azoulay en 2013 avec une ébauche de projet autour des aurores boréales. « Je lui ai parlé de la météorologie de l’espace, il a été enthousiasmé. » Ainsi est née l’installation Solar Wind, projection lumineuse des vents solaires sur deux silos de béton situés au bord du périphérique parisien.
Passionné, comme Laurent Grasso, par les relations entre pratique artistique et savoir scientifique, Evariste Richer s’intéresse depuis longtemps au lointain céleste. Matthieu Gounelle, professeur au Muséum national d’histoire naturelle, a tout de suite pensé à lui pour l’exposition « Météorites, nos plus lointains souvenirs », dont il était le commissaire invité à la galerie épisodique en février dernier. Au final, deux des œuvres de l’artiste trouvèrent place dans l’exposition : Meteor, une photo en noir et blanc d’un chewing-gum écrasé sur un trottoir, magma évoquant avec ironie la trajectoire d’un aérolithe dans le ciel ; une pièce conceptuelle, 251,2 millions d’années (sertie entre deux baguettes teintes selon les codes couleur conventionnels des ères géologiques, une pépite d’iridium, métal très rare sur terre, illustrait la fin des dinosaures, due à la chute d’une météorite). Pour l’occasion Matthieu Gounelle avait lui-même conçu une installation mettant en regard une lithographie de Serge Poliakoff et deux micrographies de lamelles de roches extraterrestres observées à l’aide d’un microscope optique, tels des vitraux traversés par la lumière. Au mur, les clichés naturalistes offraient une troublante similitude avec la composition abstraite du peintre français d’origine russe. Une façon pour Matthieu Gounelle de suggérer que « ce qui est imaginé par l’artiste, comme ce qui est vu par le scientifique, est une création ».
Pour l’exposition « Phase zéro », collaboration de l’Observatoire du CNES avec la galerie Serge Aboukrat, une centaine de créateurs – plasticiens, peintres, dessinateurs, architectes, paysagiste, chorégraphes, musiciens, stylistes… – avaient été invités à livrer leur perception du cosmos sur une feuille de papier à dessin. Dans la postface du catalogue, quelques scientifiques revenaient, eux, sur leurs impressions spatiales, comme le géophysicien José Achache, qui fut long à aimer les images de la terre jusqu’à ce qu’il les voit enfin « comme la révolution pop des satellites » et les aime pour « leur richesse chromatique (…) comme (des tableaux) de Lichtenstein et Pollock ».
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Les artistes à la conquête de l’espace
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°454 du 1 avril 2016, avec le titre suivant : Les artistes à la conquête de l’espace