À travers un enchaînement d’expériences, l’exposition d’Evariste Richer – né en 1969 à Montpellier et vivant et travaillant à Paris –, à la Galerie de Noisy-le-Sec, tisse un dense réseau où se dessine une complexe mise en abyme des mécanismes du regard.
Vos œuvres individuellement, et votre exposition dans son ensemble, sont-elles conçues comme un travail sur la mécanique de perception ?
C’est une réflexion sur l’œil qui a, en effet, permis de faire le lien entre chaque œuvre, de créer une sorte de catalyse à travers des relations formelles, mécaniques, musicales… Le fait que ces pièces se soient organisées naturellement entre elles m’a amené au titre de l’exposition, « La Rétine ». Ce n’est pas l’illustration d’un thème, car le point commun de tout cela est l’expérience du regard et, par-delà, celle de l’observateur et de l’alchimie qui peut s’opérer entre lui, les travaux et l’espace d’exposition en tant que réceptacle, tout comme l’est l’œil d’une autre manière.
L’exposition apparaît presque comme une suite d’expériences rétiniennes qui marquent l’œil…
Je reprends même des mécaniques classiques et anciennes, dont la plupart ont leur origine au XIXe siècle. Par exemple, cette idée de transformation du plomb en or que je revisite (Le Lingot mort, 2007), ou la grille d’Hermann qui date de 1870 et qui avant d’être une abstraction géométrique était une réflexion sur la perception (Slow Snow, 2007). En fait, je m’intéresse donc à toute cette réflexion autour des concepts du dedans, du dehors, d’observation, de saisie, de phénoménologie… Il y a en outre, commune à toutes les œuvres, cette idée de trouble de la vision, de la netteté et de la perfection impossibles, de l’incertitude permanente quant à ce qu’on perçoit. Il y a une remise en question d’un relativisme autour des notions de vérité, et d’œuvre également.
La question de l’incertitude est importante aussi. Est-il difficile de représenter les choses clairement aujourd’hui ?
Ce qui est compliqué, c’est de parler clairement d’art. Mais ce principe d’incertitude m’interroge. Le fait que, dans la théorie d’Eisenberg, il y ait des molécules que le réel n’est pas capable d’identifier avec précision m’intéresse beaucoup. Il y a cette élasticité, cette histoire de rapport d’échelle, ces questions d’inversion, de rapport d’équivalence, de négatif/positif, de noir et blanc… Il y a donc toutes sortes de choses que j’intègre et que je démantèle un peu afin de mieux comprendre la mécanique du sens. De plus, j’essaye souvent de générer des sens après coup, et de faire en sorte que la netteté de contenu se perde dans l’espace compris entre la rétine et le cerveau. Il y a un chemin, un temps de réaction avec lequel je joue en provoquant des contretemps.
La question de la couleur est aussi très présente. Il y a entre autres les affiches publicitaires collées à l’envers, qui laissent voir des teintes bleues ou grises (Équivalents, 2006), ou la vidéo Placebo (2007) où la queue d’un perroquet gris du Gabon change de couleur et fait défiler tout le prisme en une minute…
Ce perroquet gris du Gabon prend ici un statut de mire pour faire le point. Cette race possède un dégradé de noir et de blanc auquel je rajoute des couleurs. En quelque sorte, il devient complet à travers ces nuances chromatiques. C’est un sujet qui s’adapte à ce qu’on veut lui faire dire. Il communique très bien avec la parole, mais là je le fais parler autrement. Du coup on se rapproche de la photographie, de la peinture, et de toute cette problématique de l’image. C’est comme un concentré d’art. Les affiches retournées évoquent-elles une certaine saturation du regard. Je m’intéresse à la monochromie de ces images car ce sont des surfaces de remplacement.
Il y a beaucoup d’œuvres, comme Slow Snow, Éclipse et Ellipse (2007) ou Pôle Nord et Pôle Sud (2007) qui jouent en binômes dans l’exposition. La bipolarisation est-elle une chose importante ?
C’est aussi pour cela que l’exposition s’intitule « La Rétine ». Nous avons deux yeux, l’un voit une chose sous un angle, l’autre différemment. Ces informations sont remises dans le bon sens au niveau du cerveau, qui effectue un échange des deux perceptions. Je tisse donc des liens entre des œuvres qui dialoguent. Quelque part, en créant des liens entre chaque pièce, on est dans un dégradé du sens, dans un environnement modulaire où l’on observe des molécules compatibles. Tout ce dialogue renvoie à cette structure moléculaire.
Jusqu’au 10 novembre, La Galerie, 1, rue Jean Jaurès, 93130 Noisy-le-Sec, tél. 01 49 42 67 17, tlj sauf dimanche et lundi 14h-18h, samedi 14h-19h. Catalogue à paraître en décembre.
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Evariste Richer : « Ce qui est compliqué, c’est de parler clairement d’art »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°266 du 5 octobre 2007, avec le titre suivant : Evariste Richer