MELLE
La commune de Melle organise sa 10e édition de la Biennale internationale d’art contemporain.
Melle (Deux-Sèvres). Melle n’est pas Venise. Mais la commune du département des Deux-Sèvres (environ 2 500 âmes et quelque 6 000 avec la communauté de communes) a, elle aussi, sa Biennale internationale d’art contemporain, créée en 2003, en prolongement du Festival d’art contemporain « Romanes », lancé, lui, en 1996.
Cette année pour sa 10e édition, la manifestation a choisi l’artiste Evariste Richer (né en 1969) comme commissaire qui, sous le titre « Nous merveillons », a pris pour thématique, en résumé, les enjeux écologiques, la façon dont l’homme et l’art réagissent face aux mutations de la biosphère et selon ses propres termes le souhait de « réveiller les consciences et de redonner goût à l’émerveillement ». Tout un programme qui propose plus de 150 œuvres de 50 artistes.
Evariste Richer connaît Melle puisqu’il a inauguré en juin dernier la commande publique que lui a passée la Ville, la troisième au sein de sa triade de magnifiques églises romanes après celles de Mathieu Lehanneur dans l’église Saint-Hilaire en 2011 et Rémy Hysbergue dans l’église Saint-Savinien en 2012. Richer a, lui, choisi d’intervenir dans le clocher de l’église Saint-Pierre et de remplacer les abat-sons (destinés à rabattre le son des cloches aujourd’hui muettes, vers le sol) par des lames de verre pour y installer son Métaprisme, une interprétation et une déclinaison artistique du photométéore, autrement dit de l’arc-en-ciel et son spectre de couleurs qui se déploie de façon subtile aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur.
C’est dans cette même église que Linda Sanchez et Baptiste Croze ont disposé [voir ill.], sur le sol de la nef, quelque 400 boules, balles et ballons majoritairement en plastique, comme autant de déchets rejetés par la mer que les deux artistes marseillais ont récupéré sur les côtes de la Méditerranée. En contrepoint, ils font descendre du plafond, suspendus à des fils, les doigts moulés en plomb d’une centaine d’habitants qui viennent pointer des détails de l’architecture. Sur la mezzanine de l’orgue, une sculpture de Juan Muñoz évoque un être humain sur une colonne en train d’observer la constellation de balles précitées. Enfin, à la croisée du transept, une sculpture miroir de Michelangelo Pistoletto reflète à la fois l’architecture, les autres œuvres et le spectateur qui les regarde dans une magnifique cohérence entre chaque œuvre et l’endroit précis où elles sont installées.
Cet aspect se perpétue dans l’église Saint-Savinien où Herman de Vries a disposé au sol, en un cercle de près de 3 mètres de diamètre, 50 kilos de roses séchées. Ce cercle rouge dialogue évidemment avec l’installation de tuiles broyées de Marco Godinho, avec la suspension réalisée par Laurent Montaron composée d’un train de cerfs-volants transparents et avec les trois belles peintures aérosol sur drap, comme des suaires, de Michel Dector. L’ambiance est tout autre dans le parcours labyrinthique de l’Hôtel de Ménoc, l’ancien tribunal, où sont réunies près de 70 œuvres (de 22 artistes parmi lesquels Bruno Serralongue, Didier Marcel, Éric Baudart…) issues des collections de plusieurs Frac, Poitou-Charentes, Angoulême, Nouvelle-Aquitaine Méca, Bordeaux, Nouvelle-Aquitaine, Limoges ainsi que du Château de Rochechouart ou de Lafayette Anticipations, Paris, etc.
Même si des ponts se créent entre certaines d’entre elles ainsi que de subtiles adéquations entre ces œuvres et l’endroit où elles sont installées, l’ensemble a moins d’impact que les installations spécialement réalisées pour cette Biennale comme celles qu’on peut rencontrer un peu partout dans la ville, et notamment près du Chemin de la Découverte, un arboretum créé en 2007 par Gilles Clément, labellisé « Jardin remarquable ». À l’exemple de cette superbe intervention de Jan Kopp, qui a suspendu au plafond de la salle Jeanne d’Arc plus de 1 500 tiges de chardons, la tête en bas. Ou dans le verger du Clos Marie, cette marelle de Dominique Ghesquière [voir ill.], dont la dernière dalle est dressée verticalement comme une pierre tombale. Ou encore ces cinq boîtes à oiseaux d’Olivier Leroy, en trompe-l’œil puisque leur entrée est bouchée. Et c’est indéniablement de ces œuvres que la Biennale tire toute sa force et sa poésie.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°638 du 6 septembre 2024, avec le titre suivant : Quand la ville se « Melle » d’art