"Autour de Poussin" propose d’évaluer en vingt-cinq tableaux, savamment sélectionnés, l’hommage de raison rendu au maître par ses amis et ses admirateurs. Ce sont, parmi les amis, Jacques Stella, Jean et Pierre Lemaire, le jeune Charles Le Brun ; parmi les admirateurs, Thomas Blanchet, Sébastien Bourdon, Charles-Alphonse Dufresnoy ; et d’autres encore.
PARIS - Nicolas Poussin n’eut pas à proprement parler d’élèves. Son influence ne laissa pas, cependant, d’être considérable. Sa clarté, sa rigueur, son ambition intellectuelle – saluons au passage tous les efforts déployés ces dernières semaines pour nier celle-ci – furent à travers ses continuateurs le catalyseur du Classicisme français.
À l’inverse du parti pris par les commissaires de l’exposition du Grand Palais (JdA, n° 7), les responsables de cette réunion du Louvre (Sylvain Laveissière, conservateur en chef au département des Peintures, et Gilles Chomer, maître de conférences à l’université Lumière-Lyon 2) entendent bien faire entrer de plain-pied le visiteur dans les subtilités de la critique poussinienne.
Définition du style classique et attributions
L’axe est double, orienté premièrement autour de la définition du style classique en ses modalités et, secondement, autour du délicat problème des attributions. Ce dernier point, il faut l’avouer, a été privilégié sur le premier, et l’opportunité sera plus grande pour le visiteur de se "faire l’œil" – ce qui est une excellente chose – que de considérer, dans toute son étendue et sous ses diverses formes, l’influence de Poussin sur le milieu français. Le choix, en effet, a été fait de "poussinistes poussinisants" – si l’on peut se permettre – ayant adopté au plus près l’ordonnance, le dessin, mais aussi le coloris souvent rabattu et la touche incisive de leur modèle. Ce sont le Le Brun du Mucius Scaevola devant Porsenna, le Blanchet du Moïse sauvé des eaux ou le Stella du Minerve chez les Muses avec, bien sûr, toutes les nuances qui s’imposent de l’un à l’autre.
Des "petits riens"
Il s’agit, à la vérité, des peintres français ayant appris Poussin à Rome, et l’on aurait pu souhaiter que fussent également présentés sur les cimaises un La Hyre des années 1630, un autre des années 1650 et deux Le Sueur des mêmes décennies. L’évolution convergente de chacun, au tournant des années 1640, eût tout aussi bien rendu compte de l’intérêt croissant des milieux parisiens (ni La Hyre, ni Le Sueur ne se rendirent à Rome) pour les œuvres de Poussin, cela d’autant qu’avait eu lieu, entre 1640 et 1642, le séjour du maître dans la capitale française.
Le constat d’une inflexion classique dans le dessin, appliquée au coloris clair, vif et décoratif issu de Vouet, eût constitué une spectaculaire illustration de ce succès.
Le parti pris est donc un peu différent, et par "autour de Poussin", il faut plutôt entendre "problèmes autour de la critique poussinienne". En dépit du caractère apparemment théorique d’une telle orientation, le visiteur aura beaucoup à apprendre – et de façon on ne peut plus sensible – sur les "petits riens" qui font toute la différence.
Ne pas l’en avertir, ne pas solliciter explicitement de lui une attention particulière serait, en quelque sorte, le tromper sur la vocation de cette réunion dont les modestes dimensions constituent, au point de vue pédagogique, un réel avantage.
Divisée en cinq sections, l’exposition propose désattributions ("Quatre "Poussin" d’autrefois"), réattributions ("Autour de quelques "Poussin" retrouvés"), réhabilitation ("Un Poussin exemplaire : Les Aveugles de Jéricho"), déclinaisons ("L’Antiquité dans le cercle de Poussin : des Lemaire à Dufresnoy") et analyse de l’influence ("L’Effet Poussin : la peinture parisienne de Stella à Le Brun").
La suggestion d’attribuer à Bourdon L’Entrée du Christ dans Jérusalem (Nancy), pour audacieuse qu’elle paraisse, s’avère très convaincante, tout comme celle d’un Achille à Scyros (Reims) rendu à Dufresnoy. La confirmation d’une attribution à Poussin d’un Repos pendant la fuite en Égypte (Budapest) laisse plus songeur, en dépit du faisceau d’arguments archivistiques qui en soutiennent la paternité. L’artiste, en revanche, semble bien être l’auteur d’un curieux Paysage au satyre endormi (Montpellier), également présenté.
Parmi les œuvres sans problème, le visiteur aura plaisir à découvrir le séduisant Enée et Anchise de Blanchet (Besançon), Le Christ guérissant l’aveugle de Capharnaüm de Villequin (Louvre) – une sorte de correction du même sujet par Poussin – ou les Salomon et la reine de Saba et Salomon sacrifiant aux idoles de Stella (Lyon), parfaits exemples d’application – un peu soucieuse de ses effets, il est vrai – de la théorie des modes chère à Poussin. Une exposition en nuances dont les amateurs feront leur profit...
"Autour de Poussin", Musée du Louvre, jusqu’au 16 janvier. Catalogue, éditions RMN, 220 F.
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"L’effet Poussin"
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°8 du 1 novembre 1994, avec le titre suivant : "L’effet Poussin"