BNF

Lectures d’enfer

Le Journal des Arts

Le 3 janvier 2008 - 520 mots

Du langage comme vecteur de la jouissance charnelle

PARIS - Dans la vaste salle habillée de rouge et de rose qui accueille l’exposition L’Enfer de la bibliothèque, Éros au secret, à la Bibliothèque nationale de France (BNF), les visiteurs venus en nombre sont penchés sur les vitrines. Le premier regard n’embrasse presque rien de cet « enfer », nom de la cote sous laquelle sont rassemblés les ouvrages et images érotiques conservés à la BNF. Il faut s’approcher pour découvrir le parcours conçu par Marie-Françoise Quignard et Raymond-Josué Seckel à un double niveau. L’un raconte l’histoire de la constitution de l’enfer et son origine : la séparation des livres sulfureux du reste des collections de la bibliothèque royale dans les années 1830. Par la suite, l’enfer s’agrandit progressivement, restant un objet de fantasmes. L’histoire de la construction du fonds, de ces ajouts ou retraits successifs (certaines œuvres érotiques ont été réintégrées au fonds général de leurs auteurs) revêt une dimension sociologique révélatrice des évolutions du statut de ces œuvres.
Le deuxième niveau dévoile le contenu de l’enfer. Chronologique, il s’ouvre sur une mise abyme en présentant les éditions originales des livres lus par le personnage de Thérèse dans Thérèse philosophe. Ce roman emblématique de la littérature libertine paru vers 1748 narre, en effet, la découverte de l’érotisme et la perte de la virginité de la jeune Thérèse, oie blanche entraînée par des lectures interdites. Ce texte pose le langage comme relais et vecteur de la jouissance charnelle, affirme le pouvoir de persuasion du verbe et le rôle actif d’une description. Le marquis de Sade n’est pas loin, représenté par ses manuscrits. Tout comme les autres grands auteurs ayant cristallisé leur réflexion autour de la question érotique ou pornographique tels Georges Bataille ou Jean Genet. L’hommage qui leur est rendu est l’un des principaux attraits de ’exposition.
D’autres documents prêtent plus au sourire et à l’anecdote. Ainsi des annuaires du XVIIIe siècle répertoriant les noms, adresses, prix et savoir-faire des prostituées parisiennes ou des caricatures mettant en scène les ébats supposés de Marie-Antoinette. Ou encore les Passe-temps, série de planches lithographiées publiées vers 1840, représentant un monde peuplé de jeunes filles valsant avec des phallus géants. Le goût pour l’Asie des amateurs du XIXe siècle est illustré par une belle sélection de shunga, les estampes érotiques japonaises. Les balbutiements de la photographie pornographique sont également présents dans l’enfer, entrés à la suite de saisies judiciaires.
Des alcôves abordent des thématiques comme le goût de l’érotisme antique, né des découvertes des fresques de Pompéi. Une autre est consacrée aux romans de flagellation, genre sadomasochiste inventé en Angleterre et exporté en France à la fin du XIXe siècle. Les représentations du sexe féminin par Jean-Jacques Lequeu, dont la bibliothèque possède l’œuvre complet, et du sexe masculin par Dominique Vivant Denon font l’objet d’un autre chapitre. Une histoire de l’enfer sans place pour l’indifférence.

ÉROS AU SECRET

- Commissaires : Marie-Françoise Quignard, conservateur en chef à la réserve des livres rares, BNF ; Raymond-Josué Seckel, directeur du département de la recherche bibliographique, BNF - Scénographie : Nathalie Crinière, Hélène Lecarpentier - Nombre d’œuvres : 350

L’ENFER DE LA BIBLIOTHÈQUE, ÉROS AU SECRET

Jusqu’au 2 mars, Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, Quai François-Mauriac, 75013 Paris, tél. 01 53 79 59 59, www.bnf.fr, tlj sauf lundi 10h-19h, dimanche 13h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°272 du 4 janvier 2008, avec le titre suivant : Lectures d’enfer

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