ECOUEN
Le château d’Écouen met en scène une période transitoire et méconnue du théâtre français : la Renaissance.
Écouen (Val-d’Oise).« Ce n’est pas un sujet qui évoque grand-chose », concède Muriel Barbier, conservatrice au château d’Écouen, en introduction à cette exposition sur le théâtre dans la France de la Renaissance. En effet, nous ne sommes ni chez Corneille ni chez Racine, mais plutôt chez Étienne Jodelle ou Robert Garnier, des auteurs dont le public d’aujourd’hui a perdu la mémoire. Du théâtre de la fin du XVe siècle au début des années 1610, ne sont en outre conservés ni costumes, ni décors, ni bâtiments (les spectacles étant donnés sur des installations provisoires). C’est cependant ce sujet, mis en lumière par des publications scientifiques récentes, que traite le Musée national de la Renaissance, en s’appuyant sur des manuscrits, livres imprimés, peintures, objets… et supports de médiation bienvenus : un film donnant vie, grâce à des comédiens contemporains, à La Passion de Valenciennes (1547), connue par un texte conservé à la Bibliothèque nationale de France, et un vêtement d’Arlequin reconstitué par le costumier Sébastien Passot à partir de sources d’époque.
À l’image d’une dissertation classique, le parcours déroulé dans les appartements d’Anne de Montmorency et de Madeleine de Savoie aurait pu s’intituler « entre tradition et modernité. ». Il remonte en effet aux racines du théâtre Renaissance avant de pointer ses innovations. « Une grande partie de la vie théâtrale du XVIe siècle prolonge la tradition médiévale », explique Olivier Halévy, maître de conférences à Paris-III Sorbonne-Nouvelle, qui assure le co-commissariat de la manifestation. Comme au XVe siècle, de nombreuses représentations, données la plupart du temps par des comédiens amateurs, se tiennent dans l’espace public lors des fêtes collectives qui rythment la vie sociale. Ainsi joue-t-on à Paris comme dans les provinces les derniers grands mystères, des cycles ambitieux qui relatent la vie du Christ ou d’autres sujets religieux tirés des Évangiles. Des pièces courtes telles que les farces, les sotties et les moralités occupent également le paysage scénique.
Si le théâtre du XVIe siècle reste ancré dans l’univers médiéval, l’exposition montre l’émergence du théâtre à l’antique, lequel acquerra ses lettres de noblesse au XVIIe siècle. En 1502, l’imprimeur et libraire Josse Bade formule à partir d’Horace les premières définitions théoriques de la comédie et de la tragédie. En 1553, le dramaturge Étienne Jodelle fait triompher L’Eugène et Cléopâtre captive, les premières comédie et tragédie de langue française. De la division en cinq actes à la présence d’un chœur entre les scènes en passant par les monologues délibératifs, ces pièces restaurent les formes de la culture gréco-latine et ouvrent la voie à des auteurs tels que Nicolas Filleul (Lucrèce, 1566) ou Garnier (Hippolyte,1573 ; Cornélie ,1574).
Il est rappelé enfin que des troupes italiennes aux pratiques nouvelles viennent se produire à partir de 1570 à la cour de Catherine de Médicis et d’Henri III. Faits d’improvisations très physiques et de personnages types (Pantalon, vieillard amoureux et avare ; Arlequin ou l’incarnation insolente de tous les défauts reprochés aux Italiens par les Français…), ces spectacles ne prendront qu’au XVIIIe siècle le nom de commedia dell’arte. Le théâtre de la Renaissance est bel et bien une période de transition fondamentale.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°511 du 16 novembre 2018, avec le titre suivant : Le théâtre français avant corneille et racine