Vernaculaire

Le terreau populaire des œuvres de Picasso

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 22 juin 2016 - 774 mots

Le MuCEM fait l’inventaire de la production de Picasso marquée par les art et traditions populaires
dans une proposition qui réaffirme la spécificité du musée.

MARSEILLE - Selon Mirò, « l’œuvre de Picasso a été un bilan, une révision de toute l’histoire de l’art, en fin de compte une analyse. Il nous a permis, à nous qui venions après lui, de trouver les portes ouvertes ».

Parmi ces portes ouvertes ou plutôt « enfoncées » par l’artiste espagnol, le MuCEM propose de franchir celles qui séparaient les beaux-arts des arts populaires. L’idée est judicieuse, car elle s’accorde parfaitement avec la vocation de ce Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, dont le parcours, depuis un certain temps, était un peu hésitant. Elle est d’autant plus pertinente quand l’on se rappelle que c’est au MuCEM qu’ont été transférées les collections du Musée national des arts et traditions populaires fondé par Georges Henri Rivière, que Picasso connaissait. Les visiteurs pourront ainsi retrouver des objets et thèmes fétiches de Picasso (la tauromachie, le cirque, la parure, la colombe, les instruments de musique, les jouets), son travail avec des techniques et matériaux traditionnels (céramique, orfèvrerie, bois, tôle découpée) et également ses sculptures et ses assemblages.

Sans doute –  et les commissaires ne le mentionnent pas assez –  l’artiste ne fait pas exception dans une période où l’art sort de son isolement et intègre de plus en plus les composants de la réalité. Cependant, il est vrai que, boulimique visuel, Picasso est doté d’une capacité de digestion plastique exceptionnelle, qui lui permet d’expérimenter et d’adapter à son propre compte les divers parti pris esthétiques de son époque. Refusant à jamais d’être enfermé dans un style, même quand il s’agit de ceux qu’il invente lui-même, passant d’une technique à l’autre, l’artiste est l’exemple par excellence d’un touche-à-tout universel.

Tauromachie, cirques...
Parmi les thèmes présentés à Marseille, c’est la tauromachie qui tient indiscutablement le haut de l’affiche. Située au milieu de l’exposition, cette section débute par un magnifique tableau, rarement montré (Tauromachie, 1953). Dans ce corps à corps, sur un fond de rouge sanglant, l’homme et l’animal qui s’affrontent forment pratiquement un hybride, une forme unique et indifférenciée. Sans doute un thème populaire, mais chez Picasso la mythologie avec ses « Minotaures » n’est jamais loin. Suit une autre Tauromachie (1955), qui montre l’aboutissement de cette bataille violente : le taureau, le corps transpercé par l’épée, est allongé sur le dos. On connaît la passion de l’artiste pour la corrida ; les affiches publicitaires qu’il a réalisées pour la ville de Vallauris entre 1951 et 1964 en témoignent. Parmi les autres supports auxquels le créateur fait appel, il faut mentionner les assiettes en porcelaine. En quelques lignes et en quelques taches, les gestes et les mouvements des participants de ce spectacle, qui suggèrent plus qu’ils ne montrent, sont d’une justesse admirable.

Les thèmes qui s’inspirent des costumes populaires et des coiffes, ou encore de la musique sont plus pacifiques. Si la coiffe est un signe d’identité régionale – L’Arlésienne, 1958 –, la musique garde une signification plus universelle. Certes, la présence des instruments musicaux dans les natures mortes est une tradition ancienne. Toutefois avec Picasso, comme d’ailleurs avec Braque, ils sont souvent utilisés pour les premiers assemblages (Mandoline et clarinette, 1913). Cette volonté de faire une place à la sensibilité aux propriétés tactiles trouve son expression définitive avec la riche série de sculptures et d’assemblages formés à partir d’objets et de matériaux détournés et recyclés (Femme portant un enfant, 1953).

Le parcours, clair et agréable, offre aussi la possibilité de voir les céramiques de Picasso, un domaine dans lequel l’artiste se montre d’une invention formelle exceptionnelle. Il est toutefois regrettable que les véritables objets populaires soient peu présents, ce qui ne permet que rarement une comparaison avec les œuvres.

Le parcours se termine sur un autre thème cher à Picasso : le cirque, qui est pour lui, un laboratoire ludique, un terrain fertile d’expérimentations plastiques. À mi-chemin entre le music-hall et le carnaval, il offre une large panoplie de mouvements et d’attitudes, de personnages qui sortent de l’ordinaire ou encore d’animaux dressés comme des êtres humains. La figure de saltimbanque fait son apparition déjà dans les périodes rose et bleue de l’artiste avec les acteurs qui se situent souvent aux marges de la société. Mais c’est avec une œuvre comme L’Acrobate bleu (1929) que Picasso semble s’affranchir des lois de la gravité et signifier son désir de liberté totale. Pour lui, le titre de la fameuse étude de Jean Starobinski, Portrait de l’artiste en saltimbanque relève de la tautologie.

PICASSO

Commissaires : Joséphine Matamoros et Bruno Gaudichon
Nombre d’œuvres : 270

PICASSO. UN GÉNIE SANS PIÉDESTAL

jusqu’au 29 août, MuCEM, 1 Esplanade du J4, 13002 Marseille, tél 04 84 35 13 13, tlj sauf le mardi, 11h-19h en mai et juin, 10h-20h en juillet et août. Catalogue coéd. MuCEM-Gallimard 280 p, 35 €, en 9,50 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°460 du 24 juin 2016, avec le titre suivant : Le terreau populaire des œuvres de Picasso

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