Pour la première fois, une exposition monographique retrace la carrière du portraitiste bergamasque. Une redécouverte.
TOULOUSE - « Vittore Ghislandi, dit Fra’Galgario (1655-1743), est l’un des peintres les plus singuliers qui soient. Il est à la fois un virtuose incomparable qui exhibe avec fierté une technique éclatante et un psychologue austère qui ausculte ses modèles sans empathie », analyse Axel Hémery, commissaire de l’exposition consacrée au portraitiste bergamasque, dans l’ouvrage accompagnant la rétrospective de Toulouse. Conçue en collaboration avec l’Accademia Carrara de Bergame, qui conserve le plus vaste ensemble d’œuvres du peintre, l’exposition réunit au Musée des Augustins plus de soixante-dix peintures, tableaux du maître italien mais aussi œuvres de ses contemporains européens (le Bolonais Giuseppe Maria Crespi, les Français Rigaud et Largillierre, le Bohémien Johann Kupezky ou encore le peintre germano-polonais Salomon Adler). Une confrontation qui fait apparaître avec plus de force encore le regard acéré et sans équivalent du frère Galgario, auteur d’étranges voire inquiétantes représentations d’une aristocratie déclinante et anémiée. D’une précision chirurgicale, son pinceau brosse en effet des « jeunes fats poudrés, rameaux exsangues d’une fin de race annoncée, vieillards conservés dans la naphtaline, prudes matrones, parvenues ostentatoires, Rastignac lombards, malades réels et imaginaires, hommes de pouvoirs confits dans l’aigreur, évaporées en robes de carnaval, vieilles filles anémiques », constate sans détour Axel Hémery.
Consacrée aux années les plus fructueuses de l’artiste, qui s’imposa seulement à l’âge de 50 ans, la deuxième partie de l’exposition en offre la meilleure illustration. Les grandes familles bergamasques y apparaissent tour à tour bouffies d’orgueil (Gian Domenico Tassi), pleines de morgue (Isabella Camozzi de’Gherardi) ou d’une pâleur et d’une maigreur maladives (Dame avec un domestique noir). Dans ces grands portraits d’apparat en buste ou en pied, les femmes sont particulièrement malmenées, et leurs visages creusés et prématurément fanés offrent un curieux contraste avec la somptuosité de leurs atours. Le peintre déploie en effet tout son talent dans le rendu des vaporeuses perruques poudrées, jabots de dentelles, étoles chatoyantes aux plis sculptés et passementeries sophistiquées. Sa maîtrise des laques, savant mélange de pigments et de vernis, lui permet en outre de rehausser le brillant et d’accentuer la profondeur de ses couleurs, à dominante noire, rouge et bleu de Prusse.
Beaucoup moins éthérées et fantomatiques sont les portraits de ses pairs (religieux et artistes) et de ses proches. Ainsi du carmélite Giovan Battista Pecorari degli Ambiveri, traité avec une modernité et une expressivité annonçant Géricault, ou du « vilain » devenu homme de lettres Francesco Maria Bruntino, posant avec fierté aux côtés de ses livres. L’aspect moins lisse de leur physionomie doit aussi beaucoup à leur exécution picturale, Fra’Galgario n’hésitant pas à retoucher les visages de ses modèles les moins officiels avec les doigts. Cette liberté formelle atteint son apogée dans les portraits d’enfant, un genre qui fit la fortune du peintre. Petits et grands collectionneurs se disputaient en effet ces effigies incarnant, avec une fraîcheur enfantine, un métier (peintre, sculpteur, collectionneur) ou un trait de caractère. Produites en série dès la fin des années 1720, elles n’en demeurent pas moins un mode d’expression cher à l’artiste. En témoigne en particulier son Autoportrait (1732), testament artistique dans lequel Fra’Galgario se représente en train de peindre un jeune garçon, probablement son élève.
Jusqu’au 10 mai, Musée des Augustins, 21 rue de Metz, 31000 Toulouse, tél. 05 61 22 21 82, tlj sauf mardi 10h-18h, mercredi 10h-18h. Catalogue, éd. Musée des Augustins, 80 p., 15 euros.
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Le regard acéré de Fra’Galgario
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°190 du 2 avril 2004, avec le titre suivant : Le regard acéré de Fra’Galgario