À la Maison des arts de Malakoff, l’artiste propose une déambulation dans un décor enneigé empreint d’une douce mélancolie à la découverte de ses installations pleines de fantaisie et d’ironie.
MALAKOFF - Il a neigé sur Malakoff. Mais le plus surprenant c’est que les flocons ont pénétré à l’intérieur de la Maison des arts, ont envahi ses deux niveaux, le rez-de-chaussée et le premier étage et ont tout recouvert, du sol aux meubles, de la table à repasser à la table à manger. Pierre Ardouvin (né en 1955, classé 112e dans Artindex France 2015) a d’ailleurs intitulé son exposition « Retour dans la neige », reprenant là le titre d’une nouvelle de l’écrivain suisse Robert Walser. Avec cette neige artificielle synthétique, tout est blanc, immaculé et d’autant plus lumineux que de fins voilages sont accrochés devant les fenêtres. Dans cet environnement, et comme toujours avec la neige, tout semble ouaté, calme, silencieux, mis à distance, même le temps paraît suspendu.
Seuls quelques chemins, tels ces passages qui sont dégagés dehors sur les chaussées lorsqu’il a réellement neigé, permettent de circuler dans l’espace. Ils ont été mûrement pensés pour nous faire découvrir des angles, des ambiances et dévoiler les œuvres accrochées aux murs, réalisées par Ardouvin : d’une part cinq dessins, d’autre part une série d’une dizaine de tableautins aux allures de boîtes d’entomologiste, puisqu’ils sont le résultat d’inclusions, dans de la résine, de cartes postales des années 1960 sur lesquelles sont posés des papillons ou insectes volants qui viennent contaminer l’image. Le parcours nous conduit également à certains objets disposés çà et là : ici un petit chien en plastique dans un verre rempli d’une eau qui semble glacée (encore de la résine, en fait), là une assiette Arcopal avec une bague représentant une tête de mort prise dans cette même résine d’inclusion transparente travaillée pour lui donner l’aspect craquelé, fissuré du gel. Ailleurs une petite tête de poupée décapitée dans un bol doré ou encore un petit jouet caravane dans une coupelle. Autant d’objets trouvés, glanés, présentés comme des souvenirs frigorifiés. Disposés comme des indices, entre les cailloux du Petit Poucet et les éléments d’un rébus, ils sont comme toujours dans les œuvres d’Ardouvin, directement liés au monde de l’enfance et à sa mémoire plus ou moins cotonneuse.
Mises en scènes nostalgiques
Car selon l’un des grands thèmes de l’artiste, c’est bien encore de temps dont il s’agit ici. Et même de tous les temps : le temps qu’il fait (il neige), le temps qu’il est (le moment), le temps qui fut et qui fuit (la mémoire). Une mémoire à la fois collective et individuelle, intime. La première qui, sur fond de culture populaire, a toujours jalonné les œuvres d’Ardouvin notamment par le biais de la musique, se manifeste ici au travers d’une partie du mobilier qui sous sa couche de neige nous fait reconnaître des chaises, bureaux, tables de collectivités, directement en provenance des services techniques de la ville. La mémoire individuelle, elle, est plus ambiguë. Car plus on regarde les images et les objets, plus ils laissent au fur et à mesure planer une impression d’étrangeté, presque de malaise. La grande réussite de l’installation est là, dans sa capacité à nous embarquer sur le terrain de l’humour et de la poésie et en même temps à nous faire basculer progressivement dans un univers beaucoup plus grinçant, inquiet, parfois assez morbide avec ces insectes morts, ces objets pétrifiés, cet intérieur comme recouvert d’un linceul. Car dans cet univers feutré, molletonné, la mort rôde, au point qu’on s’attend presque à découvrir un cadavre gelé dans le placard. Climat à la fois énigmatique et glacial, dans une ambiance qu’on pourrait situer entre la Partie de Chasse d’Enki Bilal et le Top of the Lake de Jane Campion. Cependant, l’ensemble n’a rien d’un décor. Pierre Ardouvin connaît la question et a suffisamment réfléchi justement à la limite, la frontière entre l’installation et la mise en scène pour ne pas faire une sortie de route et rentrer dans le décor, dans tous les sens du terme. S’il lui emprunte de façon ostensible des astuces, des artifices, des illusions, ce n’est que pour mieux introduire la fiction que le spectateur va continuer avec sa propre histoire. Dès lors, de la même manière que la neige réfléchit la lumière, l’œuvre nous renvoie à nous-même, comme un miroir, nous incite à un voyage imaginaire et nous invite à exprimer nos propres projections, appréhensions, peurs, solitudes, attentes, souvenirs ou désirs. Et à partir de là, mystère… on en oublie le temps.
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Le paradis blanc de Pierre Ardouvin
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 3 mai, à la Maison des arts, 105, avenue du 12 février 1934, 92240 Malakoff
tél. 01 47 35 96 94
http://maisondesarts.malakoff.fr
mercredi-vendredi 12h-18h, samedi-dimanche 14h-18h, entrée libre.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°432 du 27 mars 2015, avec le titre suivant : Le paradis blanc de Pierre Ardouvin