PARIS
Leur beauté ensorcelante renferme une énigme archéologique.
PARIS - Les bronzes du Luristan, qui créèrent l’émulation sur le marché de l’art au début des années 1930, envoûtent actuellement les vitrines du Musée Cernuschi, à Paris. Les splendeurs de ces objets, provenant d’une région montagneuse d’Iran et datés du troisième au premier millénaire avant notre ère, sont révélées dans cette exposition soignée qui pose les fondements d’une étude archéologique. Car la fascination qu’exercent ces bronzes à l’iconographie zoomorphe exubérante se double d’un mystère encore épais sur la civilisation qui les a produits. Alors que musées et collectionneurs privés se les arrachent à partir de 1930, ils se multiplient sur le marché de l’art tout au long du XXe siècle, entraînant des campagnes de pillages et un important commerce de contrefaçons. La provenance de nombreuses pièces ne pouvant être avérée, leur attribution à la province du Luristan repose principalement sur des critères stylistiques ; aussi, certains spécialistes mettent en doute l’authenticité même de quelques pièces conservées aujourd’hui dans les musées. Après les campagnes de fouilles menées entre 1960 et 1980, le mystère persiste autour de ces objets sans équivalent dans l’art de l’Orient ancien. D’abord, les recherches n’ont mis au jour aucune trace d’atelier métallurgique dans la région. Seuls des cimetières ont pu être explorés, à proximité desquels aucun lieu de vie n’a été retrouvé. Ce qui corrobore l’hypothèse, récemment admise, que les peuples du Luristan menaient une vie semi-nomade. Ainsi le Luristan met-il au défi les archéologues de reconstituer plus de deux millénaires d’une civilisation avec pour seuls témoignages des objets funéraires, présents en nombre parmi ces bronzes. Par ailleurs, aucun texte ne permet d’interpréter les figures mythologiques qui peuplent ces bronzes. Quant à leur fonction, utilitaire, votive ou ornementale, elle est encore discutée.
« Oreiller » aux défunts
« Bronzes du Luristan » propose une mise à jour des connaissances disponibles sur cet artisanat, à travers un parcours didactique qui se prolonge dans le contenu scientifique du catalogue. Il s’ouvre sur l’âge du bronze (vers 3100 à 1300 avant J.-C.), qui voit apparaître l’alliage de cuivre et d’étain dans la fabrication des armes où s’illustre déjà un bestiaire caractéristique. Mais les « bronzes canoniques » du Luristan sont produits entre 1150 et 750 avant J.-C., à l’âge du fer. L’exposition en donne une classification par genre qui, à défaut de percer leur mystère, offre une synthèse des caractéristiques iconographiques et stylistiques pour chaque catégorie d’objets. Cette méthode comparative constituerait le premier pas vers l’élucidation de ces mors, épingles à disque, idoles ou situles (gobelet). Par exemple, la très faible usure des mors à plaques latérales zoomorphes et les motifs mythologiques du bouquetin ailé ou du génie hybride, qui y remplacent parfois la figure du cheval, pourraient attester un usage votif de ces harnachements, lesquels, selon des témoignages locaux, servaient d’« oreiller » aux défunts. Aussi, l’exposition démontre que les épingles à disque et les « idoles » (petits étendards) empruntent des registres iconographiques différents, contredisant les premières études qui leur prêtaient la même fonction. Mais c’est là tout ce que disent ces hypothétiques déesses de la fécondité, ces « maîtres des animaux », ces félins souverains, ces bouquetins magistralement stylisés. Le mutisme auquel les fouilles sauvages ont condamné ces objets les dote paradoxalement d’une émouvante puissance évocatrice. Magnifiée par un éclairage subtil, leur beauté emprisonne le secret d’une civilisation perdue.
Jusqu’au 22 juin, Musée Cernuschi, 7, avenue Vélasquez, 75008 Paris, tél. 01 53 96 21 50, tlj sauf lundi et jours fériés, 10h-18h. Catalogue éd. Paris-Musées, 49 euros, ISBN 978-2-7596-0026-7
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Le mystère des bronzes du Luristan
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaires de l’exposition : Gilles Béguin, conservateur et directeur du Musée Cernuschi et Nicolas Engel, conservateur
- Nombre de pièces exposées : 230
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°279 du 11 avril 2008, avec le titre suivant : Le mystère des bronzes du Luristan